Altaïr
| Sujet: Fragment #60 - Papa et Maman 09.04.08 17:53 | |
| Dimanche 20 août 2006 à Dijon Je prends une bouffée d’aspiration sur le perron du 148 avenue Victor Hugo, et frappe à la porte ; la plongée en apnée commence. C’est Maman qui vient m’ouvrir, prête à me prendre dans ses bras. Elle s’arrête un instant pour me regarder, ma petite Maman toute émue par ces retrouvailles après deux mois d’absences. « Oh… Julian… Tu n’as pas été chez le coiffeur depuis combien de temps ? » Je lui adresse un sourire. Maman tu n’as pas changé. C’est vrai qu’ils sont un peu longs, je peux les attacher en arrière maintenant. Et toi, tu es toujours si petite et si rayonnante de me voir… Je ne te vois pas si souriante face aux deux autres. Où sont-ils d’ailleurs ? Tu me prends dans tes bras, tu me sers bien fort, puis me regarde, et inspire. « Je te les couperai cette après-midi, finit-elle par déclarer. » Me revoilà chez moi. La maison, pour un dimanche, est assez calme, et je m’en étonne. Maman m’explique que Florian et Elodie ne sont pas là aujourd’hui, invités chez la famille de ma belle-sœur. La petite Léa est toujours aussi adorable. Lilian, quant à lui, passe son temps avec son « amie ». Je me passerai de toute question superflue. Ca me fait plaisir pour lui, même si j’espère que, depuis le temps, sa rancœur a mon égard s’est apaisée. Je ne sais même plus quelle en était la cause. Lilian a une petite amie… Nous nous installons dans la salle de bain. Maman me fait asseoir face à la fenêtre, loin du miroir (car tu sais, Maman, je l’ai compris, tu sais pour le miroir…), et s’assied derrière moi, armée d’une paire de ciseaux. « Au fait, me demande-telle en peignant mes longs cheveux avec ses doigts, comment va Jill ? » Mon cœur se resserre en entendant prononcer son nom. Vite, ne pas y penser, enclore son souvenir et l’enterrer, l’asphyxier, l’étouffer jusqu’à le tuer. « Je ne sais pas, on ne s’est pas revu depuis mon départ. » Maman semble sentir mon désarroi car, aussitôt, son visage s’illumine et elle s’empresse de changer de sujet. « Alors raconte moi tes vacances, mon chéri, Paris, c’était comment là-bas ? - Eh bien, c’était… » Les mots, pour la première fois, me manquent. C’était si facile avec Nalvenn, mais toi Maman, puis-je te raconter tout ça ? Nathan, Arthur, Gautier, les quais de Seine et le caillou, l’alcool et la chaleur de l’homme… comprendrais-tu ? Non, tu ne peux pas comprendre (pourquoi cette petite voix si aigre qui grince dans ma tête ?), tu ne peux pas comprendre. Tu es ma mère, et pourtant nous sommes si loin l’un de l’autre. Lentement, je sens les ciseaux découper dans ma chevelure de dieu, avec ce bruit crissant si fin et délicat, et mes cheveux tomber sur mes épaules. Une part de moi s’en va. « … c’était bien. Vraiment bien. »
Papa lit un livre dans son sanctuaire de Papier. Cet endroit me fait froid dans le dos. Papa, pourquoi es tu si rigide ? Est-ce le sang des dieux, le sang des Mahogany, qui te rend si hautain ? Je ne sais même plus comment te dire bonjour. Vous avez reçu ma carte, celle qui parle de Paris sans rien dire de Paris, de ce que j’y ai vécu, l’alcool et la chaleur de l’homme. Vous êtes si loin de moi. Comment en sommes nous arrivés là ? Non Papa, je ne me suis pas encore inscrit à la faculté, mais je le ferai bientôt. Oui, je continue la littérature. Non, je n’aurais pas pu faire une prépa, ni aller en fac de médecine. Enfin, j’aurais pu, mais je ne voulais pas. Ce n’est pas une question de fainéantise, nous n’allons pas remettre ça sur le tapis. Très bien, changeons de sujet. Oui, je compte m’inscrire pour passer le permis de conduire. Oui je sais, ce n’est pas trop tôt. Avec quoi vais-je payer ? Je ne sais pas. Et la voiture ? Et le loyer de l’appartement ? Et les études ? Je suis figé sur le seuil du bureau. Pourquoi faut-il que je baisse la tête ? D’où vient cette honte qui m’enserre et me glace ? « Papa, je… j’ai besoin d’argent. » | |
|