Fragment #64 - Je veux cet appartement

Je dévale les escaliers et me précipite vers la grille après avoir traversé la cour de la résidence. Mes pieds dévorent le trottoir puis me jettent dans la bouche du métro. Quelques secondes plus tard, je reprends mon souffle dans le wagon, sous le regard des autres passagers. Chose étrange que le regard des parisiens, on y lit à la fois du désintérêt, du mépris mais aussi une pointe de curiosité. Ce mélange est parfois déstabilisant. La ligne cinq m’emmène à Jaurès où je récupère la deux pour descendre à Pigalle.

Le vendeur de l’agence, qui m’avait fait visiter un appartement rue du temple, m’attend à la sortie.
- Ah, vous voilà !

En même temps, c’est sûr que c’est pas le Pape qui se tient devant toi, connard.

- Bon, vous êtes un peu en retard mais ça devrait aller. Suivez moi.
Je le suis tandis que nous commençons à escalader la rue Houdon jusqu’à la place des Abbesses. Cette place située entre le Sacré Cœur et la place Pigalle est le cœur du quartier Montmartre. Nous remontons un peu la rue des Abbesses et nous prenons la première sur notre droite. Nous voilà rue Ravignan.
Nous nous arrêtons au début de la rue, juste en face d’un tabac, devant un immeuble de trois étages coincé entre deux autres de six étages. Nous sommes devant le numéro quatre.
Nous pénétrons dans l’immeuble. Un vieil escalier en bois grimpe doucement vers les étages mais le vendeur, monsieur Nicolas Beuzier, nous dirige vers l’ascenseur.
- L’escalier s’arrête au deuxième étage. L’ascenseur ne dessert que le troisième.
Nicolas Beuzier insère une clé dans l’ascenseur qui se met immédiatement en route.

Les portes s’ouvrent et je reçois un choc.

L’ascenseur donne directement sur la pièce principale. Le sol est un parquet en bois rosé dont j’ignore le nom, les murs sont en pierres de taille blanches. La pièce est sous poutres, d’une superficie de cinquante mètres carré environ ; le plafond est assez bas, environ deux mètres, ce qui accentue l’impression de longueur. Trois fenêtres ouvrent sur la rue et des puits de lumière ont été aménagés entre les poutres, la pièce est parfaitement illuminée. Au bout, une cheminée en marbre blanc rehausse la beauté du parquet. Deux portes l’encadrent. L’une donne sur une superbe cuisine, entièrement moderne, dans les tons bronze et vieux chêne polis. Une grande table en bois cerclée de fer forgé est fixée au plancher. De même que dans le salon, ce sont des puits qui amènent la lumière dans la pièce au bout de laquelle un trou dans le parquet sert de bac à plantes au dessus duquel s’ouvre une grande verrière.
La seconde porte ouvre sur un couloir assez large. La première porte du corridor ouvre sur une chambre ou un bureau d’une vingtaine de mètres carré avec placards encastrés. La seconde porte donne sur une salle de bain de rêve : deux vasques en pierre surplombées de miroirs servent de lavabos, une grande baignoire protégée par du bois occupe le coin gauche. Je tombe amoureux de la douche : le plancher s’arrête et est remplacé par la même pierre que celle du mur, le sol suit alors une déclivité qui aboutie à une bonde, mais le plus surprenant c’est que la douche est un couloir avec un mur de pierre d’un coté et une paroi en verre de l’autre. Les deux extrémités sont ouvertes sur la pièce.
La dernière porte ouvre sur une grande chambre avec placards encastrés. Elle donne sur la cour. Trois fenêtres insonorisées illuminent la pièce.

Je veux cet appartement.

Nicolas Beuzier me débite ses boniments depuis le début de la visite et j’essaye de reprendre le fil de son monologue.
- Voilà vous avez fait le tour. Je pense que vous serez d’accord avec moi pour dire que le prix est correct.
- Quand est-il disponible ?
- Dès que les enfants se seront mis d’accord sur la part que chacun doit recevoir. Vous savez, les héritages sont toujours compliqués à gérer. Nous espérons le problème réglé pour la fin du mois.
- Bien. Dans ce cas nous en reparlerons quand il sera réellement mis en vente.
Nous sommes arrivés devant l’immeuble.
- Je vous appelle dès que j’ai du nouveau. Bonne journée monsieur Carmichael.
- Merci, vous aussi.

Nicolas Beuzier s’en va sur ses grandes guiboles d’une démarche désarticulée. Je redescends la rue Ravignan doucement et m’arrête prendre un verre, rue des Abbesses, avant de rentrer dans un café nommé le Saint Jean. Peu importe le prix, peu importe le temps, j’aurai cet appartement.