Fragment #51 – Faites sauter mon coeur

« Pierre ?
- Non, c'est son fils.
- Bonjour, c'est Jacques, un ami de votre père, j'appelle depuis la clinique...
- Oui ?
- Je dois parler à Pierre de toute urgence.
- Il est en vacances ce weekend, désolé, je peux lui laisser un message ?...
- Écoutez, vos deux frères ont été victime d'un accident de voiture avec une jeune fille et un autre garçon.
- Qu-quand ça ?
- Ce soir, vers vingt-et-une heure. C'est très grave, il faut joindre votre père au plus vite.
- Est-ce qu'ils vont bien ?
- La jeune fille va bien, elle est consciente. Vos deux frères sont encore inconscients et il se peut que le traumatisme soit très sérieux. Le quatrième passager n'a pas survécu.
- Oh mon dieu... »
Alex et Déborah me regardent blêmir. Regard apeuré. Main plaquée sur la bouche. Incapable de parler, je raccroche sans écouter la voix du collègue de mon père. Vos deux frères sont encore inconscients... Le quatrième passager n'a pas survécu...
Ma main, fébrile, compose un numéro. Alex me demande de lui expliquer ce qui se passe. Je me contente de le regarder, tandis que la sonnerie retentit contre mon oreille.
Une fois. Deux fois. Trois fois. Quatre fois.
Voix ensommeillée.
« Allô ?
- Madame Guitry ?
- Oui, c'est moi... Il est une heure du matin, qui est à l'appareil bon sang ?...
- C'est Lilian...
- Oh, bonsoir Lilian, bon anniversaire... Qu'est-ce qui t'arrive ? »
Ma voix flanche. Secoué de sanglots soudains et violents, je demande :
« Je vous en supplie madame Guitry, dites-moi que Robin est chez vous, dites-moi qu'il est encore dans sa chambre et qu'il n'a pas voulu me voir ce soir...
- Mais qu'est-ce que tu racontes, Lilian ? Tu sais très bien qu'il t'aime, ton Robin ! Il n'a pas arrêté de parler de toi aujourd'hui, il t'a même préparé un sacré cadeau... »
Je crois que je n'entends plus. Je crois que je ne vois plus rien. Face à moi se dessinent les montagnes sans fin de pleurs à venir, le vide sans fond. Ne dites pas ça, madame Guitry, ne dites pas cette phrase. Dans quelques instants, je vais lâcher le combiné, je vais tomber sur le sol. Je n'arriverai pas à perdre connaissance, mais je vais souhaiter de tout mon coeur de n'avoir jamais existé.
« Je ne comprends pas, ton frère est passé le chercher en voiture tout à l'heure, ils ne sont toujours pas arrivés ? »