Shedar
| Sujet: Fragment #1 - Détour par amour 11.04.08 12:04 | |
| Mercredi 6 décembre 2006 à Dijon Ma chaussette dérange mon pied. Sans honte. Pourtant c’est honteux, de la part d’une chaussette qui m’a toujours été fidèle, de trahir ainsi ma démarche, au milieu des gens. On pourrait croire que je boîte, mais j’essaie seulement de remettre cette sorcière à sa place sans perdre une seconde, sans perdre un mètre... Les gens, ça leur donne une raison de me regarder, ce qui ne m’arrive pas si souvent. Ca leur donne aussi une raison de sourire, ce qui ne leur arrive pas si souvent. Les gens ne se sourient pas dans ce pays, jamais. Souhaite une bonne journée à un inconnu, il te regardera comme si tu l’insultais, comme si tu étais fou. Dangereux. Je ne m’adresse plus aux inconnus depuis longtemps, cela devenait trop dangereux. Les gens ont souvent des réactions étranges. Je le regrette. Mais je le comprends aussi. Ils n’ont pas l’habitude, alors, inévitablement, ils sont surpris. Onze fois sur douze. Et six jours sur sept, car dimanche tout s’arrête... Dimanche est dangereux. Je guéris peu à peu mais dimanche est loin d’être un jour comme les autres à mes yeux. Je n’aime pas plus les gens que dimanche. Et puis je les aime encore moins dimanche, évidemment. Ils me le rendent plutôt bien, mais c’est sans importance. Son amour aurait plus de valeur à mes yeux que celui des gens, aussi nombreux qu’ils puissent être. Aujourd’hui cet amour est petit, pourtant je donne déjà beaucoup pour qu’il grandisse. Même du temps, beaucoup de temps, et souvent, comme à cet instant que je connais si bien, où j’attends, immobile, face à cette porte que je connais si bien, ma main sur ce mur que je connais si bien, ma main tremblante, rampant en direction de la sonnette. La sonnette, énigmatique. C’est la seule que je ne connaisse pas encore... Tout s’arrête, un échantillon de dimanche égaré au milieu d’une minute, je réalise qu’une fois de plus j’ai traversé ma ville en semant mon courage derrière moi. J’aime ma ville. J’aime aller et venir à travers elle. Cependant je ne suis pas riche de courage et cette nouvelle perte m’affaiblit fortement. Je me retourne lentement, espérant un impossible retournement de situation, imaginant quelqu’un ouvrir cette porte, pour moi. Mais non. Donc non. Dès mes premiers pas, un timide sourire s’impose, s’opposant au reste. Je ne veux pas sourire mais c’est incroyablement plus fort que moi. Ma chaussette est à nouveau là où j’aime qu’elle soit. Je marche à nouveau symétriquement. Les gens ne me regardent plus. Je vais pouvoir rentrer chez moi sans incident supplémentaire. Heureusement. J’espère. J’espère car ce jour, comme beaucoup d’autres, a été si long que, comme beaucoup d’autres, je l’ai cru interminable. Je ne m’en sors jamais indemne. Je ne m’endors jamais indemne. Le temps menace. Vivre tue. Et l’amour. L’amour... Depuis des années déjà je tourne la plupart de mes espérances en direction de l’amour. Mais vainement. Je plonge ma main dans cette mare de poche, en sors mes clefs et leur copain, que je fais brièvement coasser, pour rien. J’ouvre la porte. C’est le seul instant de ce jour qui n’a pas fait couler une seule goutte d’espoir. Les bonnes surprises sont rares, mais pas si hasardeuses qu’elles laissent le croire. C’est aussi et logiquement le seul instant du jour où mon cœur bat au ralenti. Un peu de repos pour lui, donc pour moi, peut-être pas vraiment mérité, mais au moins vraiment apprécié. Je réveille mon fauteuil, qui m’accueille en héros. Il fait parfois d’étranges rêves lui aussi. Je cours me réfugier dans mon préféré, celui où je suis le jardinier de son royaume et où je plante des graines d’amour offrant naissance à des arbres plus hauts que les nuages et dont les fleurs n’ont pas de pétale mais de grandes et douces plumes dessinant des arcs-en-ciel circulaires parmi les étoiles. | |
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