Fragment #58 - Hiver sans fin

Papa et maman m'ont invité à dîner aujourd'hui. Mais je n'irai pas. Je ne veux pas les voir. Je ne veux pas entendre parler de ce pauvre Florian qui se remet à l'hôpital. Je ne veux pas entendre parler de ces pauvres Julian et Lola qui ont eu de la chance. Et je veux encore moins entendre parler de « cet ami de Florian » qui est décédé.
Je préfère rester ici, tout seul, avec mon amertume. Sentir le vide emplir l'appartement. Notre cuisine immobile. Ma chambre en bordel. Notre petite salle de bain. Je crois que Robin et moi avons fait l'amour dans chacune de ces pièces, celle de Florian exceptée. Ou peut-être que si, une fois, je me souviens, ce dernier était parti en weekend avec Léa et nous étions un peu saouls. Je m'étais disputé avec Florian, j'avais envie de me venger. Nous sommes aller poursuivre des ébats bien avancés sur son édredon, et j'ai joui sur son oreiller par mégarde. Le lendemain matin, nous avons dû tout laver, et, à son retour, mon frère ne s'est aperçu de rien.
Le téléphone vibre. C'est un numéro que je ne connais pas. Je regarde le petit écran qui tremble et je ne réponds pas. Je ne veux parler à personne. Encore moins à quelqu'un qui n'est pas dans mon répertoire.
Je songe à sortir un peu, car le temps est doux et clément, mais je ne suis pas certain d'en avoir le courage. Les gens sont excités par le soleil et sourient, et je ne veux pas voir des gens heureux. Je ne veux pas entendre de rires et sentir le printemps rendre les choses belles et neuves. En moi, l'hiver ne peut plus s'arrêter.
Mon téléphone vibre à nouveau. Je finis par décrocher.
« Allô.
- Bonjour Lilian, c'est Maura Malvo au téléphone.
- Maura...
- L'infirmière qui s'occupe de ton frère, tu sais.
- Oui, je sais.
- Florian va sortir de l'hôpital demain, ça serait bien que tu viennes le chercher.
- Hmm.
- J'ai remarqué que tu ne venais jamais le voir, ça lui ferait du bien pourtant.
- Pas à moi.
- Lilian, ton frère n'est pas responsable de l'accident, il dit que tu as reçu une lettre de menaces.
- Et il n'y a pas de rapport avec ce qui est arrivé.
- Réflechis-y à deux fois. Bonne soirée. »
Maura me raccroche au nez, agacée. Je vais chercher le mot dans ma chambre et le relis plusieurs fois. Prend garde, petit Lilian, ton coeur va faire boum boum. Qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce que mon coeur n'a pas explosé le soir de l'accident ? Qui pouvait prédire que cela arriverait ? Qui pouvait savoir que Robin allait perdre la vie ?
Je ne peux pas croire qu'il y ait un rapport entre les deux. Florian est responsable et je ne peux pas lui pardonner. Je me fiche bien de savoir dans quel état il rentrera demain. Je ne le considère plus comme mon frère.