Shedar
| Sujet: Fragment #3 - Le blond sous l'abribus dormant 11.04.08 12:06 | |
| Samedi 9 décembre 2006 à Dijon Un moteur. Je ne m’étais encore jamais fait réveiller par un moteur. Ma ville est encore sombre. Je suis avachi sur le sol, ma tête enfouie dans mes bras, reposant sur ce même banc, sous ce même abribus, où j’attendais. En m’étirant je remarque des statues particulièrement réalistes dressées tout autour de moi. Ce sont des gens. A présent je suis certain que ce moteur était celui du premier bus. Il doit être environ six heures. J’ai presque envie de rester encore un peu. Tout est si calme. Quoique. Quelque chose me dérange et m’inquiète de plus en plus. Quelque chose que j’ignore. Je me sens en danger. Nu face à un troupeau de samouraïs. Je me lève discrètement, m’assurant que... mes poches sont vides. Je me fouille à nouveau, plonge même chaque main dans chaque poche pour ne pas me faire rire. Vides. Je me retourne brusquement, pose les genoux sur le sol et mon regard sur tout ce qui m’entoure. Ou plutôt sur tout ce qui entoure le banc, car si ce n’est pas un vol, ça ne peut être qu’une chute, et ce banc en sait forcément quelque chose. Mais il n’est pas bavard... Pourtant j’ai l’impression qu’il veut m’aider. Je me rapproche. Il semble murmurer quelques mots. Oui. Là. Ca brille. C’est une carte téléphonique. Je n’ai pas vu une telle antiquité depuis longtemps. Ca remonte au siècle dernier. J’en suis presque ému. Elle semble avoir été posée volontairement sur le sol, contre le pied gauche du banc. Je m’en empare et trouve au dos un post-it jaune poussin sur lequel un numéro a été écrit au stylo-bille bleu corbeau. Mal écrit. Je ne comprends pas tout. Mon voleur voudrait-il que je le retrouve ? Ca semble un peu trop facile, et pourtant... Je me demande si certains voleurs laissent un peu d’argent à leurs victimes. Ou un souvenir. Un cadeau... Je veux savoir qui est le mien. Ecrasant le rectangle de plastique au creux de mon poing, je cours en direction du logo ‘France Télécom’ le plus proche. Une fois à l’intérieur de l’ascenseur de verre je consacre une dizaine de secondes à reprendre mon souffle, puis introduit ma seule chance dans l’appareil, qui grogne. Visiblement, déranger un téléphone du troisième âge n’est pas plus dangereux que ça. Après avoir déchiffré les ratures je compose le numéro. Et j’attends. J’attends... Non ! Je ne dois pas m’endormir, pas maintenant. Ce ne serait vraiment pas le bon moment. « Ouais c’est pour quoi ? » La voix qui m’interroge est jeune, mixte, agressive. Répulsive même. Mais pas suffisamment pour que je renonce à répondre. « J’ai trouvé ce numér... - T’es blond ? - Euh... oui. - Mamie c’est pour toi ! C’est lui ! - Qui ça !? » J’entends la voix lointaine et tremblante d’une vieille dame. « C’est lui ! - Mais je ne connais pas de Louis ! - Tu sais ! Le p’tit prince ! Avec la mèche et l’écharpe ! - Enfin de qui parles-tu mon enfant ? - Mamie c’était ce matin ! Rappelle-toi ! Le blond sous l’abribus dormant ! - Le blond ! Qu’attends-tu pour me donner ce fichu téléphone ! Allô !? » J’ai du mal à croire que la voix usée qui s’adresse à moi avec tant de gaieté est celle de mon voleur. Une adorable voleuse. Vulnérable. Innocente. « J’ai trouvé ce numér... - Oui mon enfant, je sais. Je sais aussi où tu es. Attends-moi là quelques minutes. » Elle a déjà raccroché. Je sors alors de cet habitacle et retourne m’assoir sur ce banc qui me connaît bien désormais. Et puis j’attends. J’attends ma voleuse. | |
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