Fragment #63 – Prendre la fuite

Je suis tombé dans les feux sans fond de la Géhenne. Ici les Anges Exterminateurs broient dans de terribles machines les corps des damnés qui ont échappé aux massacres. Partout on entend d'inquiétantes clameurs, des cris et de hurlements de douleur. Les hommes se tordent de peur, leurs membres brulés vifs et arrachés, l'acier charcutant à tour de bras. Jed, Nicolas, et Robin ont été attrapés, mais pas moi. Je me cache dans un fourré épineux. Les chardons entaillent ma peau meurtrie et me mordent. Des larmes de frayeur coulent de mes yeux sans sanglot. Je vois les Anges Exterminateurs. Ils mes traquent. Leurs lances lumineuses balaient le sol à la recherche d'une trace, d'un cheveu, et leurs longues ailes secouent le vent avec frénésie. Je me recroqueville. Me voilà en enfer, et il n'y a pas d'issue. Je sens une main se poser sur mon épaule. Des rivières de glace se propagent dans mon dos, car ça y est, ils m'ont trouvé.
« Lilian, c'est moi. »
Je me retourne. Nicolas me regarde. Il a faussé compagnie à ses bourreaux pour me rejoindre ici.
Il me dit :
« J'ai trouvé une issue. Viens avec moi. »

Non, non, je ne veux pas me réveiller, je ne veux pas le laisser, je veux savoir où est la sortie !
Mon téléphone vibre. Un appel manqué de Déborah. Mince. Maintenant que je suis réveillé, je ne pourrai pas connaître la fin de ce cauchemar. Je déteste quand la réalité nous tire de force d'un songe.
Pourquoi ai-je rêvé de Nicolas ? Cela fait presque un an que je ne l'ai pas vu et que je n'ai pas eu de nouvelles de lui, et rien, durant ces derniers jours, ne me prédisposait à le revoir en rêve.
Je me lève et rejoins la cuisine, où Florian regarde la télévision, étalé sur le canapé. Nous nous ignorons mutuellement et j'ignore ce qui est arrivé hier au commissariat lors de sa convocation. Je me fiche de savoir la vérité au sujet de l'accident. Ce n'est pas la vérité ou un prétendu coupable qui me ramènera Robin. Ce n'est pas la vérité qui inversera le cours des choses, car il n'y pas de justice à rebours. A présent, tout ce qui m'importe, c'est de fuir cette ville, fuir ces rues où tout me rappelle ma douleur et les souvenirs passés. Je veux oublier que tout cela est arrivé, je veux oublier jusqu'à son existence. Quelqu'un me voulait du mal ? Raison de plus pour ne pas rester ici un jour de plus.
Je retourne dans ma chambre avec un bol de céréales et compose le numéro de Nicolas. La sonnerie retentit contre mon tympan, tandis que je fais craquer les Chocapic sous mes dents.
« Allô ?
- Salut Nicolas, c'est Lilian, tu te souviens de moi ?
- Lilian...
- Un garçon de Dijon, vingt ans -enfin, dix-neuf l'été dernier quand je suis venu chez toi.
- Oui, je me souviens de toi, tu vas bien ? Ca fait un bail.
- Je sais, et non, ça ne va pas très bien.
- Ah ? Qu'est-ce qui t'arrive ?
- Je ne peux pas en parler au téléphone. En fait, je voudrais venir sur Paris, tu crois que tu pourrais m'héberger quelques jours ?
- Oui, bien sûr, tu veux venir quand ?
- Le plus tôt serait le mieux...
- OK. Viens quand tu veux alors, ça me fera plaisir de te revoir.
- Je prends des billets pour demain. 
- Ca marche. Je viendrai te chercher à la gare. Dis-moi par texto quand tu arrives. 
- Merci Nicolas, vraiment, merci... A demain.
- A demain Lilian. »
Je raccroche.
Il est temps de faire ma valise.