Shedar
| Sujet: Fragment #14 - Les plantes ne peuvent pas se suicider 11.04.08 12:17 | |
| Jeudi 1er février 2007 à Dijon Je sors mes clefs en m’assurant de ne pas déranger leur copain, les infiltre dans la serrure et tourne doucement. Très doucement. Le brouhaha est incessant. Mes pieds s’entre-déchaussent. Mon bras droit referme la porte. Son jumeau rend justice à mon cou, oppressé par cette écharpe. Tout cela en même temps. Mais tout en délicatesse, et discrètement. Le brouhaha est grandissant. J’avance à pas de félin, plus silencieux que le chat de la petite dame, silencieux parmi les félins... Jusqu’au salon, au bord duquel je m’arrête, et où tout le reste s’arrête avec moi. Le brouhaha aussi. Il s’est subitement endormi. C’est une sensation des plus rares. Trouver un tas de chaussettes ou même une penderie complète derrière la porte du frigo, à la place des yaourts, laisserait jaillir une sensation similaire. Mes parents me regardent, immobiles. Mon père a du mal à débarrasser son visage des rides de la haine. Ma mère est encore essoufflée de cet éprouvant dialogue. Ils couronnent le mystère. Je lance un « qu’est-ce qu’il se passe » des moins surprenants, à peine interrogatif, ne récolte dans l’immédiat qu’un « rien, rien » maternel. Je me tourne alors vers le complice qui se trahit en bafouillant ce qui aurait pu ressembler à une sorte de « non, non, je t’assure qu’il n’y a vraiment aucun problème ». Je déteste ces situations où même les meubles oseraient jurer qu’il ne se passe rien de particulier s’ils le pouvaient. Heureusement ils ne le peuvent pas. L’espoir en est épargné, agonisant sur le tapis du salon qui peine à éponger la mare de sang. Je n’aime pas les silences. Je n’aime pas les entendre mentir grossièrement pour briser leurs silences. Je n’aime pas les mystères. Je n’aime pas que l’on me prenne trop facilement pour un con. Mais par dessus tout je n’aime pas que mes parents me prennent trop facilement pour un con... Ma mère trouve dans un pot en terre une raison d’aller se calmer dans la cuisine en allant chercher à boire pour sa pauvre plante qui pourtant se noyait déjà dans sa prison circulaire. Les plantes ne peuvent pas se suicider... Je ne savais pas que ma mère était capable de trahir ses chers végétaux pour sauver sa peau. Je sors à mon tour de l’arène. Ces énervés m’ont contaminé. Je n’aurais peut-être pas dû me mêler de ce qui ne me regarde pas. Je n’aurais peut-être pas dû me mêler de ma famille et de ses problèmes. Problèmes qui me concernent, j’en suis certain, car même s’ils ne le disent pas, ils ne peuvent me le cacher... Mais ce n’est pas comme si je faisais partie de la famille... A mon tour de me cacher un peu. Mes pieds s’entre-rechaussent. Mon bras droit ouvre la porte de la délivrance. Son jumeau soutient la dictature de l’écharpe. Tout cela en même temps. Mais tout en délicatesse, et discrètement. Je referme la porte, doucement. Très doucement. Collecte les paris, patiente encore une seconde. Gagné. Le brouhaha s’est réveillé. | |
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