Fragment #98 - Les mamans du jardin des plantes

Le soleil joue à travers les jeunes feuilles et parsème le sol de fleurs de lumières. Il fait chaud et lourd, la journée à la librairie est longue. Assis sur mon banc, je déguste un sandwich infect : jambon, beurre, emmental. Je suis obligé de boire une gorgée d’ice-tea pêche après chaque bouchée pour passer le goût.
On est mercredi et à Paris c’est le jour des enfants. Surtout pendant les vacances. La marmaille défile accompagnée de maman, de nounou et plus rarement de papa. Les jeunes mères arborent fièrement leurs poussettes MacLaren tout terrain, adaptées aux allées du jardin des plantes. Elles semblent partir en croisade, mériter une médaille pour avoir mis bas la huitième merveille du monde.
D‘ailleurs, lorsque deux mamans tout terrain se croisent, fleurit alors un doux sourire sur leur visage accompagné d‘un délicat hochement de tête. Cependant on peut voir au même instant, une évaluation rapide de la poussette et du bébé, au fond de leur prunelle.
Lorsque ces deux mères se sentent du même monde : même poussette, robe printanière pour montrer les belles jambes malgré le vêlage, une sorte d’obligation apparaît : sociabiliser. Chacune s’extasie sur la beauté du bambin, la finesse du tour de taille et se congratule d’avoir choisit cette marque de couche. Satisfaites, elles repartent, persuadées de leur importance et de participer au dernier défilé de mode printemps été, accompagnées du dernier accessoire tendance : un bébé.
Je ferme les yeux pour savourer mon dernier quart d’heure de pause. J’aime travailler. Le travaille donne du goût à la liberté. Maintenant que je suis enchaîné, je peux savourer ces quelques minutes octroyées au petit salarié que je suis. Triste condition que la condition humaine.
Une maman Chicco (marque de la poussette) s’assoit à mes côtés. Elle semble fatiguée et contrairement aux autres mères, elle ne semble pas s’attendre à une remarque aimable ou gentille de ma part. Elle sort quelques minutes plus tard un bouquin : « D’autres vies que la mienne ».
Ça ne me dit rien.
Quelques minutes passent, mais je ne réussis pas à savourer la tranquillité du parc, à goûter la douceur de ce printemps.
Merde.
Maintenant qu’elle m’ignore c’est moi qui aimerais lui parler. Je ne peux m’empêcher de la regarder. Après tout, partager un banc ça rapproche, ça crée un lien. On est tous les deux là à profiter du soleil, du beau temps. On pourrait discuter, je pourrais la flatter sur la beauté de son bébé peut-être.
Non mais ça va pas ? Je vais pas tailler une bavette avec bobonne ! Cette conne m’a carrément gâché mes dernières minutes de pause.
Le gravier de l’allée crisse sous mes converses tandis que je m’éloigne.
C’est vrai qu’il était beau son bébé…