Fragment #31 - Des grains de haine

Il est plus de minuit lorsque je rentre chez moi, rue du Jour. Saint-Eustache endormie veille sur le 1er arrondissement. Je monte les escaliers, ouvre la porte de mon appartement, m'écroule sur le lit encore habillée. Aussitôt, des coups violents martèlent le plancher par en-dessous. Je sens une bouffée de colère gonfler mon coeur, et si cette sale petite araignée vient cogner à ma porte, je lui éclate le cerveau contre un mur. Agacée, je me relève, me déshabille, plonge nue sous une douche brûlante. L'eau tape sur mon corps cuivré, je ferme les yeux en me collant contre le mur, juste sous le jet. Je repense à Eliott, à la façon dont je me sers de lui. Pauvre garçon. S'il y a bien une personne que je n'ai pas envie de manipuler, c'est lui. Il ne mérite pas ça.
Je sors de la douche, m'enroule dans une serviette. Mes yeux, sous des paupières lourdes de fatigue, entrent dans le miroir, explore mon âme incandescente. Un bruit dans le couloir interrompt mes rêveries. Mon corps se raidit. Quelqu'un est entré dans mon appartement. Je sens mon coeur qui s'emballe, mes doigts se crispent et transpirent. La buée de la douche enveloppe l'air de brume chaude. L'odeur de la peur se mêle à celle du savon.
La porte s'ouvre d'un coup, un homme entre et me prend par la nuque, écrase mon visage contre le miroir qui se fissure de part en part.
« Ca fait des mois que tu nous casses les couilles à faire du bruit, alors maintenant soit t'arrêtes, soit je te dérouille la gueule, OK ?! »
Le type me lâche et je tombe sur le lavabo. Il disparaît, laissant la porte d'entrée entrouverte. Des larmes me sortent des yeux, du sang perle de mon front. Je suis nue dans ma salle de bain, et je rampe pour aller la fermer. Et le sang et le sel se mélangent sur le carrelage blanc, cristallisent, et forment des grains de haine.
Tu vas me payer ça, mortel...