Altaïr
| Sujet: Fragment #542 - Les lois animales 14.06.09 12:30 | |
| Samedi 13 juin 2009 à Paris Les regards viennent à nous, ils croquent nos corps fragiles et les agressent, carnassiers. Je vois cette foule de regards, tous ces yeux braqués sur nous comme des lampes, et leur lumière blanche halogène me fait plisser les paupières. Ces garçons comme des charognards qui rôdent autour du fiancé. Ne voyez vous pas cette jolie fille à mon bras, ne voyez pas l'enfant dans notre poussette ? Pourquoi me regarder de cette façon ? Je ne suis pas une proie, je ne fais que passer sur votre terrain de chasse et j'en suis désolé, je veux juste rejoindre la Seine et m'y promener avec Lola et Kokhavah. Les eaux croupies du Marais regorgent de crapauds combattants et de libellules en guerres. Les corps gonflés et brûlés aux UV nous toisent de tous leurs muscles, sous des tissus moulant qui collent à la peau et dévoilent des épaules dénudées. Ne me regardez pas, ne me regardez pas... Ne m'appelez pas à vous, je ne suis pas des vôtres. J'ai choisi un camp, et c'est dans les bras de Lola que je veux mourir. Je ne veux pas de vos mains malveillantes, je ne veux pas sentir l'odeur de la prostitution décadente. Des bars comme des tiroirs où sont rangés les hommes. Les hommes qui se décharnent et s'exhibent, momies vivantes aux regards lubriques. J'ai la nausée, une putain de nausée. Un truc qui me remonte la gorge et reste bloqué, qui ne veut pas sortir. Ailleurs, c'est Lola que l'on dévore, des hommes à moitié saouls qui beuglent en la montrant du doigt. Mes muscles se bandent, mais ne bougent pas. Pourquoi s'imagine-t-on si fort, comme dans un film, capable de casser la gueule au premier venu, alors que l'on reste immobile ? Où est ce feu en moi qui brûlait le soir où j'ai sauvé Justin d'un lynchage ? Comment ai-je pu redevenir si faible ? Vous n'avez pas le droit de la regarder comme de la viande, vous n'avez pas le droit de la convoiter. Cette fille est à moi, elle m'appartient, je suis son fiancé et elle n'a pas de liberté d'action. Vous n'avez pas le droit de m'ignorer, de nier mon existence et de la désirer. J'imagine Lola coucher avec ces hommes et mon cerveau m'impose diverses images de torture, ma fiancée écartelée, soumise à l'accomplissement de leur plaisir, et elle, au milieu des ces mâles, jouissant à son tour de leur chaleur. J'ai trompé Lola une fois, en 2006, en couchant avec Jon. Je me souviens de son corps de lion, et je le revois en esprit, et il me dit : « un jour, ce sera ton tour ». Une main devant mes yeux, ne pas y penser, ne pas laisser la Jalousie aux serres noires me saisir et m'emporter dans son nid. Je ne veux pas nourrir ses petits, Suspicion, Colère, Désespoir. Je ne veux pas mais PUTAIN Lola tu es à moi, ne les laisse pas te regarder, arrête, tu n'as pas le droit d'être belle, tu n'as pas le droit de me faire ça. J'ai envie de te gifler, envie de te faire mal. Des larmes de rage aiguisent mes yeux fatigués. Nous rentrons lentement, sans un mot, le malaise est accroché à nous, la chaleur du soir suinte sur nos corps. Dans la rue de Turennes, une bande de jeunes bobos se balade en riant et en buvant. Une américaine, en robe légère et frivole, pose une coupe de champagne vide sur le capot d'une voiture. Je la regarde faire, interdit. Dans ce geste, c'est Lætitia que je revois, et l'enfer de nos nuits de luxe et de sexe. Est-ce une déesse ? Est-ce que je n'ai pas été dans le faux, toutes ces années, en cherchant des traces de divinité dans la beauté et l'argent ? Les hommes sont des animaux carnivores, les femmes sont des fleurs empoisonnées. Où est l'amitié ? Où sont la confiance et l'amour ? Il me semble qu'une guerre de griffes et de parfums se jouent ici depuis l'éternité, les mâles qui violentent les femelles, les femelles dévorant les mâles. L'américaine me voit, elle me sourit. Non, je ne suis pas à vendre. Je suis un être humain, Julian Mahogany, vingt-deux ans, au chômage, fiancé et père d'une petite fille de un an. Je ne suis pas un putain de corps à vendre et tu n'as pas à me regarder comme ça. Elle me dit, avec un accent de pub langoureuse, détestablement anglais : « Et pourquoi pas ? » Je voudrais courir, rentrer à la maison et m'enfermer entre les murs. Cette putain de ville et ces corps en vitrines, cette anorexie ambiante, la mode, les vêtements et les marques, le bronzage, les muscles, les beaux cheveux. Je commence à haïr toute cette débauche, cette excitation de nos pulsions intérieures. Quel monde avons-nous bâti ? Paris, ta beauté tant rêvée fond sur ma langue avec amertume. Je voudrais m'enfermer entre les murs et m'endormir en silence, loin des fracas de stupre et des éclats de rires alcoolisés, loin des portes-monnaies ambulants et des regards qui jugent. J'ai peur de ce monde et de ses lois animales.
Je voudrais être pur esprit et ne plus y penser.
Dernière édition par Altaïr le 14.06.09 12:34, édité 1 fois | |
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Tureïs
| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales 14.06.09 12:33 | |
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Menkalinan
| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales 15.06.09 22:33 | |
| Quel monde effarant ! Cela m'évoque des marionnettes mues par des fils invisibles, effectuant des gestes saccadés et incohérents (un mauvais marionnettiste en somme). | |
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Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales 16.06.09 1:31 | |
| Je comprends pas ton com, Menka ^^'
Dernière édition par Altaïr le 09.12.09 18:46, édité 1 fois | |
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Menkalinan
| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales 17.06.09 0:10 | |
| Ah bah euh... c'est pas grave. C'est juste ce que ça m'a inspiré : j'ai compris ton fragment comme si Julian voyait le monde à travers un filtre fait de saccades, un coup on le regarde, un coup on la regarde, et inversement, et ce rejet, comme si ça ne devait pas exister... comme des marionnettes. Mais bon, hier était une journée bien chargée, faut m'excuser :) | |
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Alhena
| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales 24.06.09 10:02 | |
| Waouw. Je vois que Julian n'a rien perdu de son impulsivite... J'adore le style de ce frag. J'ai ressenti cette violence en lui comme si c'etait moi qui parlais. | |
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Procyon
| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales 26.06.09 16:43 | |
| Moi je l'ai trouvé assez amusant ce frag en fait ^^ | |
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Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales 26.06.09 18:20 | |
| Amusant ? Tu peux expliciter ? Parce que je me souviens pas y avoir mis la moindre pincée d'humour, en fait. | |
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Procyon
| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales 26.06.09 19:04 | |
| C'est plein de phrases du genre : - Altaïr a écrit:
- Les eaux croupies du Marais regorgent de crapauds combattants et de libellules en guerres.
Les corps gonflés et brûlés aux UV nous toisent de tous leurs muscles, « un jour, ce sera ton tour » tu n'as pas le droit d'être belle
etc...
En fait Julian ressemble à un gamin pourri gâté qui veut tout pour lui, envieux et colérique. J'ai trouvé que ça ressemblait à une carricature de lui-même et ça m'a beaucoup amusé. Tout simplement. | |
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Altaïr
| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales 26.06.09 19:10 | |
| Je croyais avoir montré un être en souffrances, et tu y vois un "gamin pourri gâté"... J'ai du mal à comprendre... | |
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Menkalinan
| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales 26.06.09 19:58 | |
| Est-ce si incompatible ? Un être en souffrance, c'est aussi quelqu'un de déraisonnable, qui se met en colère sans qu'il y ait forcément lieu de l'être, qui réagit athypiquement aussi... | |
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| Sujet: Re: Fragment #542 - Les lois animales | |
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