Fragment #43 – Un dimanche comme ça, en été

Le sac vole à travers la fenêtre, se pose sans douceur sur la moquette du siège avant. Il brûle d’une chaleur à crever, c’est encore la fournaise dans la voiture, et je me maudis de ne pas être sortie plus tôt la mettre à l’ombre ou au moins ouvrir les fenêtres. Le cagnard s’est abattu chez nous depuis quelques jours déjà, et n’est entrecoupé que de quelques heures d’orage, tout est étouffant, pesant, de l’air, qu’on respire !
Les petits sont dans la piscine gonflable, j’entends les éclats de rire de Sara qui est sûrement en train de couler son frère ou le voisin à l’ombre du cerisier à moitié déglingué. Il a encore perdu une branche hier, qui s’est rompue et fracassée dans un bruit stupide, et pourtant, il fait encore de si bonnes cerises ! Saison presque finie d’ailleurs, les fleurs jaunes des tomates, caractéristiques des solanacées, ont fait place aux fruits encore verts, et bientôt nous récolterons les bénéfices d’un dur labeur, celui de dadoudinet en l’occurrence, mon cher papa que je comprends de plus en plus. J’adore l’été, je me sens d’humeur légère, tout paraît confortable et sans importance, l’émerveillement printanier fait place à la torpeur estivale où tout fonctionne au ralenti.
Je suis délicieusement en vacances, délicieusement sereine également, c’est plus facile pour moi parce que tout me réussit. Ma vie s’accélère et ralentit, je ne sais pas trop ; je viens de prendre un virage, THE tournant in my life, où on sent que tout va bientôt se bousculer, et pourtant je suis encore en train de me préparer à changer de vitesse.
Un mois que cette euphorie dure, j’ai su que j’étais admissible puis admise, peu importe quel titre, je vais être prof de bio, c’est énorme, jamais vu, je ne m’en remets toujours pas, et quel soulagement de toucher enfin au but !
Et demain, je vois Ethan, et Cathy aussi, ma Cathy toujours en stage qui se demande si elle va trouver du travail après, elle se défonce pourtant. Ah je l’adore, je m’en voudrais toujours de lui dire, mais il faut bien l’avouer, nous nous rapprochons sans cesse un peu plus. Je n’ai toujours pas réussi à lui dire que j’avais été attirée par Ethan, je repousse à plus tard, je veux laisser cela derrière moi et être sûre d’être sevrée. Le savoir avec une fille m’a stoppé net dans mes idées, et même s’il m’intrigue toujours autant, je me défends plus que jamais de m’en approcher, d’autant plus que cela semble sérieux. Cathy m’a dit qu’il lui avait acheté une bague, une bague de fiançailles, cela me semble être un acte d’engagement assez fort pour ne pas continuer, il s’agissait de mon côté juste d’une attirance irrationnelle.
Mais il ne lui a pas donné.
De quoi a-t-il peur ? Cela fait quelques mois déjà. Il semblerait qu’il veuille régler quelque chose avant, en tout cas c’est ce que Cathy m’a expliqué, mais nous n’en savons pas plus – d’ailleurs, je ne devrais même pas être au courant. Nous devenons de plus en plus amis maintenant, grâce aux cours de français, que je persiste à lui donner, et je suis fière de ses progrès, et aux barrières que j’ai abaissées petit à petit. Pourtant, jamais je n’oserai aborder le sujet avec lui. Nous rigolons, c’est tout, et parlons de choses et d’autres. De son sport, de ma bio.
Faudrait que j’arrête de penser à tout ça, juste écouter la musique pour le son, sentir le vent dans mes cheveux et penser aux ploufs que je vais faire dès que je serai arrivée à St-Cyr. D’ailleurs, j’espère que mon maillot de bain me va toujours, et que je n’ai pas trop les marques de bronzage, blanche comme je suis Lisou et Caro ne vont pas manquer de me taquiner.
Arrivée à la caisse, je tends mes 2€, redémarre la voiture et trouve une place où me garer. Il fait toujours aussi chaud, je dégouline de sueur mais également d’un bonheur qui ne demande qu’à s’étendre au reste du monde.