Fragment #224 – Toucher sa main

Lundi 21 décembre 2009
à Paris

12h16. Lilian est là, face à moi. Nous sommes assis dans un Starbuck, pour sa pause meridienne, avec de grands cafés devants nous. Un viennois pour lui, un expresso rallongé pour moi. Nous avons mis seulement cinq petites minutes avant de nous décider à nous mettre au chaud. Le premier café fera l’affaire lui ai-je dit. Il y a peu de monde au premier étage. Des couples pour la plupart, pas de groupes de jeunes hurlant, ni de gamins grimaçant, juste du calme, du chaud et de la tranquillité.
Nous discutons comme nous le faisions avant. Avant de venir à Paris chacun de notre côté, avant que la vie nous sépare en nous rapprochant. Avant la mort de Robin. Avant la mort de mon père. Papa. Nous nous voyons moins qu’avant mais nous éprouvons, je l’espère, autant de plaisir qu’auparavant. Lilian est vraiment quelqu’un de bien. Apparemment il n’est plus avec Maël. J’avais trouvé ça amusant qu’il me fasse visiter leur appartement alors que j’y avais mis les pieds avant lui. Nous avions bien ris aussi à ce moment là. C’est fou ce que font le hasard et les coïncidences. D’ailleurs je n’ai plus aucune nouvelle de Maël. Un temps j’avais cru que nous deviendrions amis. Mais chacun fait sa vie de son côté. Ses deux frères habitent eux aussi à Paris. Et même que Florian vient de découvrir ou redécouvrir – je n’ai pas tout compris-, un fils caché, ou disparu, ou perdu, ou un truc comme ça. Il est déjà au collège. Je ne sais pas comment je réagirais si à presque trente ans je venais à découvrir que j’avais un fils et qu’en plus il est déjà grand. Lilian non plus. D’ailleurs cette discussion nous absorbe totalement et chacun y va de son anecdote fictive sur l’occurrence inexistante d’un enfant que l’on a découvert le jour de notre vingt-cinquième anniversaire, que nous n’avons vécu ni l’un ni l’autre. Ces discussion n’ont ni queue ni tête mais elles occupent souvent les groupes d’amis.
Il n’a pas l’air de se rendre compte qu’on ne va pas se voir avant un moment. Je m’en vais demain, et qui sait quand je reviendrai ; si je reviens.
Pendant qu’il parle, ses mains jouent machinalement sur la table avec la paille usagée. Puis s’arrêtent, et recommencent. J’aimerais prendre ses mains dans les miennes, lui faire comprendre que ce jour est particulier, mettre un peu de poésie dans ces histoire de bébé trouvé, dans notre aventure, dans notre amitié. Je fixe ses mains, avance les miennes. Je me ravise. Nous ne sommes plus aussi proches qu’avant. Je ne sais pas, peut être que si. Au fond on a tous deux traversé des épreuves, mais la vie c’est ça aussi ; et si nous nous parlons aujourd’hui comme si nous nus étions vu hier c’est sûrement que nous sommes fait pour ça. Pour être amis. Pour la vie.
Je décide à lui parler de mon voyage qui s’annonce. Il pose ses mains sur les miennes.
« Tu me donneras des nouvelles régulièrement. » Me dit-il les larmes aux yeux et le sourire jusqu’aux oreilles.