Fragment #44 - Face à face avec le Désespoir

En bas, on crie et on s'embrasse, on chante et on danse. Je referme la porte derrière moi. Mes pieds foulent doucement le sol. Julian s'est retiré là depuis bien avant le décompte des minutes et des secondes finales. Assis sur son lit, la tête enfouie dans ses mains, il ne relève pas les yeux tandis que je m'approche. Doucement, je pose une main sur son bras. Je sens la chaleur de sa peau à travers le tissu de la chemise, je sens le flux de son sang dans ses veines et la force de son existence. Je sens son histoire, tous les jours et les jours et les jours, et les nuits et les mois, les longues années de mémoire et de douleur.
Soudain, son corps entier frissonne. Des larmes coulent à travers ses doigts, et son visage se contracte violemment. Il me prend la main et la serre fort, il pose sa tête sur mon épaule, et pleure. Je ne sais pas comment réchauffer le cœur de ce garçon de dix ans mon aîné. Je voudrais prendre son visage contre mon cœur et le tenir à l'abri de tout. Des forces étranges s'agitent en moi, dans le bas de mon ventre, comme des poissons fabuleux, mouvants dans des eaux inconnues, et de multiples nuées d'insectes translucides viennent frapper mon front et mes tempes de leurs ailes battantes. Mes mains se mettent à trembler, mon sang commence à bouillir.
Il me dit qu'il est désolé, tellement désolé. Qu'il ne sait pas comment sortir de ce cauchemar. Qu'il ne voit pas d'autre issue que la mort, mais que la mort ne fera qu'attrister les êtres qui lui sont chers, et brisera peut-être leur vie. Qu'il s'est enlisé en lui-même.
Je voudrais consoler cet être plein de dégoût pour lui-même. Je voudrais lui dire de s'aimer. Je voudrais être celui qui lui redonnera le goût de vivre.

Est-ce que c'est un mal ?