Fragment #146 - Le tableau noir de mon esprit

Je les entends rire. C'est comme un dialogue dans une langue étrangère. Elle rit. Silence. Il rit, en réponse. Silence. Elle rit.
Atroce.
Elle n'est pas vraiment belle. Un certain charme, vague et indéfinissable, principalement dû à ses vêtements qu'elle a su choisir. Peut-être aussi les mouvements de ses cheveux, épais et bouclés qui forment comme une auréole autour de son visage quelconque.
Lui est plutôt mignon, si ce n'est ses dents, qu'il exhibe à chacune de ses plaisanteries et qui forment une barrière légèrement inégale.

Le café a un goût amer et passe avec difficulté.

Sur la table, mon relevé de note du semestre me fait de l'oeil. Je devrais fêter ces résultats, sauter de joie. On ne valide pas tous les jours avec 14,3 de moyenne.
Mais non.
Un jeune homme sort de mon immeuble, un sac à la main. Sa démarche est élégante, il se dégage de lui quelque chose de fort, de fier. Il est brun, musclé, grand. Vêtu d'un trench noir qui couvre un pull bleu pale, il dénote et semble le savoir.
Je l'observe, affamé, cherchant à lire les émotions sur son visage qui se rapproche au rythme de ses pas, mais rien. Rien ? Non. Il a l'air détendu, satisfait peut-être. Il sort son Blackberry, décroche et s'engage dans une conversation, un sourire flirte avec ses lèvres pleines et bien ourlées. Il arrive devant le café.
Va-t-il me voir ?
Non.

Voilà, il est passé.

Le couple est toujours là. Mon café aussi, un peu plus froid. Elle rit encore et le son m'irrite, craie sur le tableau noir de mon esprit.
Est-ce le son ou bien sa joie ?
Je ne sais pas.
Je paye et rentre chez moi. Il est temps. Plus que temps.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrent. L'appartement est peut-être un peu plus rangé, un peu moins bordelique. Dans la cuisine, la vaisselle, récemment faite, s'égoutte doucement. Dans la chambre, le lit est fait, au carré, les oreillers regonflés.
Je n'ose aller dans la salle de bain. Je sais ce que j'y trouverai. Ma brosse à dent. Seule.

Fantôme.