Fragment #1 - Ces regards qui jugent

La ville s'étend par delà la baie vitrée. L'horizon est devenu rouge. La lumière du jour cède sa place à celles de la nuit, plus colorée aux yeux de beaucoup. D'ici je vois les immeubles du centre administratif, les quais de la gare et la passerelle qui les surplombe. Je regarde les voitures qui défilent en laissant des longues traînées lumineuses sur ma rétine. Comme sur une photo longuement exposée. Le reste est peu visible mais Lille est bien là sous mes yeux.
Mon portable vibre. Je sais déjà que je suis en retard. On m'attend rue Solferino pour fêter la fin des partiels. Le téléphone mobile sonne encore mais je ne décroche pas. Mes pas se font en direction du halo de l'écran de mon ordinateur qui diffuse de la musique dans mon petit appartement. Je coupe la musique et tape quelques mots sur le clavier :
« Je sors ce soir... un peu de vie en société... à plus tard. bisous. »
Sans laisser le temps à mon interlocutrice de répondre j'éteins tout et enfile ma veste.
Direction la porte, bouffée d'air vicié à la cigarette et autres substances lorsque je l'ouvre et je ne peux réprimer un certain dédain envers mes contemporains si « branchés ». Je prends les escaliers malgré les sept étages car ils sont dehors et je peux respirer un air autrement pollué mais qui me dégoûte moins. J'effleure à peine les marches de métal et atterrit sur le trottoir encombré de voitures. Je traverse l'immense rivière de voitures et file jusqu'à la gare prendre le métro. Premier contact avec les autres. Je n'aime pas trop ces regards dans le métro. Ces regards inquisiteurs. Ces regards qui cherchent à percer à jour quelqu'un. Ceux qui blessent car ils abattent sommairement leur sentence sur l'accusé... « lui est con »... « lui est pervers »... « elle est triste »... « elle est timide »... « il n'est pas beau »… Toutes ces choses prononcées en un regard. Mais ce soir le métro est quasiment vide. Les jurés ont déserté les rangs. Je souffle.
« République-Beaux Arts »
La rame stoppe net. Escalator. Néons. Restaurants et pubs. Etudiants en bande. Solférino... Cette rue est la rue qui ne dort jamais à Lille. Le « Soho » de ma ville. J'avance à contre courant. Il est 23h50 et les jeunes s'avancent déjà vers les voitures menant vers les boites de Belgique. Alcool et quelques produits illégaux vont maintenant décider de leur sort. Je rentre au Tir Na Nog, toujours aussi plein, fais signe de la main à quelques têtes connues et descends directement au sous-sol où sont mes compagnons de classe.
« Hey Damien !!! Tu es venu !!!
- Oui. »
Ils ont hurlé par dessus U2 ne cachant pas leur surprise. Oui je suis là. Je suis venu. Pas trop déçus ?
Let the party begin !!!
Je m'assois sur un des tabourets et à grand coup de sourire j'essaie de m'intégrer dans cette discussion qui n'est pas la mienne. On déclame sur les profs, sur les cours, sur les relations entre étudiants et puis...
« Tu étais proche de Suzanne l'autre soir, non ? »
J'aurais voulu répondre de suite, mais soudain toute cette masse de gens autour de moi semble m'écraser. Ces regards qui jugent...