Sargas
| Sujet: Fragment #2 - Comme une rue vidée de ses passants 11.04.08 14:39 | |
| Dimanche 25 mars 2007 à Lille « Pourquoi es-tu parti aussi vite l’autre fois ? Au Tir Na Nog ? On ne te manque pas plus que ça ? ». Agnès me regarde droit dans les yeux mais je ne soutiens pas longtemps son regard. « La fatigue. Je travaillais le lendemain. » Elle semble peu convaincue mais n’insiste pas et continue à jouer avec la paille de son cocktail. Je fixe le reflet dans le miroir derrière les étagères remplies de verres du comptoir. Je me reconnais à peine. Le manque de sommeil commence à se voir. Je suis aussi livide qu’un mort-vivant issu d’un film de Georges Romero et l’éclairage feutré du Tudor Inn n’y change rien. La main d’Agnès qui se pose sur la mienne me sort de cette funeste contemplation. Ses yeux sont emplis d’une douceur non feinte et j’ai du mal à ne pas m’y perdre. « Et Suzanne ? Tu as de ses nouvelles ? ». Je ressens cette question comme une décharge électrique et ma main s’échappe de celle de mon interlocutrice. Réflexe maladroit. Agnès semble touchée par ce soudain repli. « Excuse-moi. Je ne voulais pas ». Ses mots semblent coincés dans sa gorge. « C’est rien. Tu n’as rien dit de mal. Je suis désolé mais je dois t’avouer que parler d’elle me fait encore un peu bizarre. C’est fini aujourd’hui. On s’est connu à un mauvais moment. Pour elle comme pour moi. C’est tout ». J’essaie de chasser les images de cette histoire en vidant d’un coup sec mon verre de whisky. « On rentre ? Je te raccompagne jusque chez toi. » . J’esquisse un sourire qui se veut rassurant mais je sens bien que la peine sur mon visage est encore lisible. J’enfile ma veste et ramasse mon sac avec mon appareil photo. Nous nous dirigeons vers la sortie après avoir payé les consommations et nous voilà plongés dans le froid de ce dimanche soir. On ne peut pas dire que ce début de printemps soit des plus doux. Les rues de Lille sont vides. Nous marchons dans la ville sans dire un mot, profitant de cette tranquillité nocturne. Je ne peux m’empêcher de repenser à Suzanne et à cette petite histoire. Enfin, courte. Je me suis pris à penser un moment que ça pourrait durer mais nous essayions l’un comme l’autre d’oublier quelqu’un ou quelque chose. Et nos routes se sont séparées fin janvier. Je ne pense pas la revoir même si nous avons juré de rester amis. De simples amis. Rue Nicolas Leblanc. Agnès me souhaite bonne nuit en bas de son immeuble, elle sait très bien que ce n’est pas la peine de m’en demander plus. J’attends juste qu’elle soit rentrée dans le hall. Me voilà seul dans la rue. J’enfonce les mains dans les poches de ma veste à la recherche de mon téléphone portable qui me sert aussi de baladeur. Le casque sur mes oreilles je me mets enfin en route au son de la bande originale de 28 jours plus tard. En marchant je me surprends à regarder tout autour de moi, à me demander comment serait Lille totalement vidée de ses habitants et j’ai presque envie de me mettre à hurler dans la rue piétonne que je suis en train de traverser pour m’assurer que cela n’est pas en train de se produire. Puis la présence d’un vieil homme endormi sur des cartons me rappelle que je suis bien dans la réalité, aussi cruelle soit elle. Une heure et demie du matin. Appartement. Réflexes automatisés. Jet de veste et de chaussures sur et sous le canapé, allumage de l’ordinateur et de la musique. Je me dirige vers la salle de bain pour mettre en route une douche et laisser l’eau devenir très chaude. Je commence à me déshabiller, enlevant mon pull, puis mon t-shirt qui tombent en petit tas sur le sol. Le miroir au dessus du lavabo est déjà tout embué. Je ne peux réprimer un sourire et je commence à dessiner sur le miroir comme un enfant le ferait mais au fur et à mesure ce qui apparaît me fait perdre ce sourire. Je devrais faire attention à moi. J’ai l’impression d’avoir été vidé de ma substance. Ma peau blanche comme l’émail et mes côtes saillantes. J’ai l’impression de regarder la photo d’un enfant souffrant de malnutrition. Et mon visage semble incapable d’articuler aucune expression. Sonnerie. Encore une. Je reconnais la sonnerie typique de la messagerie instantanée. A cette heure ci je sais bien qui c’est. Mais je ne réponds pas. Mes pensées sont assez douloureuses ce soir pour t’y rajouter. Pas toi. Pas ce soir. Je me glisse dans la cabine de douche. Réchauffé. Détendu. Direction le lit. Je l’ai laissé ouvert ce matin et voyant cela je ne sais pas pourquoi je repense aux rues désertes de la ville. J’ai envie subitement de crier dans ma chambre, de demander si il y a quelqu’un. Mais je sais que non. Mon lit est comme ces rues traversées, vide. Cruellement vide. | |
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Tureïs
| Sujet: Re: Fragment #2 - Comme une rue vidée de ses passants 02.02.09 3:06 | |
| C'est difficile d'être seul... | |
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