Fragment #28 - Sortie

« Maintenant que vous avez vu le psychologue, vous allez pouvoir sortir. Vous avez quelqu’un qui vient vous chercher ?
- Non c’est bon, on repart ensemble. »
Claire est à la porte. Elle était partie dormir à l’appartement. Elle a géré tout ça toute seule. Et elle est déjà là alors qu’il est à peine midi.
Nous quittons l’hôpital St Vincent de Paul et prenons le métro juste en face. Porte de Valenciennes à Gare Lille Flandres sans nous adresser un mot.
A peine entré dans l’appartement, Claire se retourne sur moi. Je n’y crois pas. Ce regard est si adulte. Je me sens coupable. Je me sens coupable car je me dis que ce regard a vieilli, a vu déjà trop de choses à cause de moi. Elle est toujours en train de prendre soin de moi. Non pas que mes parents ne sauraient pas le faire. Juste qu’elle sait comment faire.
« T’es crade. Va prendre une douche et après on s’y met.
- On s’y met à quoi ?
- T’as vomi dans ton lit, crétin ! Alors tu files te doucher, enfiler des vêtements propres et tu viens me donner un coup de main. Pas question que je nettoie ça toute seule.
- Oui. J’arrive. »
Je n’ose aller à l’encontre de ses mots. Je traverse l’entrée en évitant son regard, et évite le mien aussi dans le miroir en pénétrant dans la salle de bain. Je me mets directement sous le jet de la douche sans laisser le temps à l’eau de chauffer. Effet immédiat. Tout revient net. Samedi soir. Suzanne. Ian. La nuit blanche et le dimanche à vider les bouteilles. Et puis l’envie de tout oublier… L’eau arrive à bonne température. Je ferme les yeux quelques secondes et laisse couler l’eau sur tout mon corps. En les ouvrant, je regarde toutes ces petites gouttes courir sur moi. Comme les grains de poussières dans la lumière, chacune semble animée d’une vie propre. Je ne peux m’empêcher de regarder celles qui dansent sur la fine cicatrice de mon poignet. Un court instant, je crains que le monstre d’acide et de sang resurgisse. Je le sens en moi. Endormi pour l’instant. Mais bel et bien là. Depuis des années, bien avant Sofia ou Suzanne. Je l’ai vu…
Je sors et m’habille avant d’aller nettoyer ma chambre et mon lit. Claire est en colère, je le sens. Elle ne me parle pas, me regarde à peine. Lorsque tout est nettoyé, elle s’assoit dans le canapé. Je m’assois devant elle, sur le sol. Ses yeux marron sont presque noirs de colère.
« Tu as quand même de la chance que ce soit moi qui ait eu ton collègue au téléphone. Et d’avoir un collègue aussi sympa. Les parents, c’est ok, ils ne se doutent de rien. Mais si tu refuses de te reprendre en main, je les préviens. J’ai menti à l’hosto pour pas qu’ils fassent chier. »
Elle marque une pause. Elle détourne son regard du mien.
« Mais merde, t’as voulu faire quoi ??? Te foutre en l’air ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?
- J’ai vu Suzanne. Et j’ai tout merdé. Il est trop tard. J’ai merdé. J’ai toujours merdé. Avec Sofia aussi certainement.
- Ne dis pas ça. Tu ne sais pas pourquoi elle est partie. Et tu vas arrêter ça. Tu ne vois pas le mal que ça te fait. Et surtout, le mal que ça fait aux autres, en particulier moi. J’ai dix-sept ans Damien. Seulement. Je m’inquiète parce que je tiens à toi. Mais va falloir y mettre du tien. Ok ? »
Elle m’impressionnera toujours. Je suis un enfant face à elle. Elle est si adulte. Je devrais avoir honte de lui gâcher sa vie.
« Pardon de te faire subir tout ça.
- Tu n’as pas à t’excuser. T’es mon seul frère. Je ne veux pas te perdre.
- Par contre. Comment t’es rentré chez moi lundi ? »