Fragment #232 - Les gens me regardent bizarrement, ils disent que je parle tout seul

C’est le lundi de Pentecôte, mais il faut aller travailler. Merci Raffarin, tout ça pour nous faire croire que les méchants français fainéants expieront leur oubli des personnes âgées, à qui l’on reversera le fruit des récoltes d’un acquis social de moins. Je fulmine en me levant pour aller au Dionysos, même si Louis m’a répété je ne sais combien de fois « t’es pas obligé de venir, votre seigneurie, tu fais comme tu le sens ». Car je sais bien, je le sens, que si je n’y vais pas, la culpabilité se saisira de moi et ne me lâchera plus. Je connais bien cet animal, nourris en moi par des litres de drogue-honte. Papa, Maman, c’est vous qui êtes responsables de tout ça, mon incapacité à faire face aux choses. Cette angoisse, c’est la vôtre.
Et la tienne, Julian. Tu es responsable aussi.
Ta gueule. Arrête de me parler.
Pourquoi ? Tu crains de passer pour un dingue ?
Les gens me regardent bizarrement, ils disent que je parle tout seul…
Ca te fait peur ?
Non, bien sûr que non…
Vraiment ?
Non, je n’ai pas peur.
Vraiment ?
La ferme ! Je t’ai dit la ferme !
Mon visage rougi par la colère se peint devant mes yeux, dans le Miroir.
Face à moi même.

Hathor déesse sexuelle à la peau cuivrée. Yeux lourdement fardés de noir et de mauve.
J. avait dit oui. Rien ne pouvait davantage satisfaire Arthur dans son ambition.
Je veux recréer un Clan comme celui de Maïa et Sethi. Mon Clan.

Deux jeunes chinoises venues de Paris m’ont demandé de les prendre en photo devant le magasin qui vend de la moutarde, rue de la Liberté. Après m’avoir chaleureusement remercié, elles m’ont dit qu’elles me trouvaient mignon.
Merci, je sais.
Tu es bien sûr de toi Julian…
Je suis un dieu.
Alors, pourquoi Jed n’est-il pas avec toi ?…
Je revois ses yeux, je revois sa bouche. L’éclat de rage de son regard, qui brille lorsque la lune est ronde dans le ciel. La saveur de ses lèvres à peine esquissée par un baiser, un jour. Je ne me souviens plus quand, il faisait froid. Moi sous toi, tombé à la renverse, et ta bouche…
Durcissement.
Cet après-midi, Justin est passé au Dionysos. C’est qu’il insiste, le gamin, il s’accroche. Je ne sais pas comment m’en débarrasser. Il s’approche du comptoir, tout sourire, ses yeux bleu pastel brillent sous des cheveux blonds sur un petit visage fin. Je fais semblant de ne pas le voir, me concentre sur le coup de torchon que je dois passer sur l’évier. Justin s’installe sur un tabouret à côté de Jack, me fixe intensément. Je dois alors relever la tête, faire semblant d’être surpris.
« Oh, Justin, je t’avais pas vu. »
Ca sonne faux, pas vrai ? Mais je suis un lâche, vous savez. Nous échangeons quelques politesses, je m’efforce d’être le plus glacial possible, lui sers un verre de jus de fraise. Comme j’aurais aimé, Jed, m’approcher de toi hier, pendant que Lilian n’était pas là. Toi et moi en caleçon dans la cuisine, j’aurais pu toucher ton entrejambe et sentir la chaleur rigide du sang en érection, et apposer sur ta peau mes baisers embrasés…
Tu as accepté d’être le premier membre de mon Clan. Ce n’est pas encore clair dans ma tête, et j'ai bien vu que tu n'as pas tout compris. Je t'expliquerai plus tard.
Une fille blonde débarque dans le bar, le genre de fille qui se prend pour quelqu’un et le montre avec excès. Elle balaye le Dionysos des yeux, puis fonce sur nous, avec son air de peste. Puis elle regarde Justin et dit :
« Désolé, c’est ma place.
- Quoi ? fait Justin, intimidé.
- Ma place. C’est là que je m’assois toujours quand je viens ici.
- Ben heu, je vois pas ce que ça change, tu peux pas te mettre ailleurs ? »
Justin me fait de la peine, et cette garce m’énerve. Ai-je l’air aussi pathétique que lui parfois ?
Déjà le Julian-Feu a repris le contrôle…
« Y a pas marqué ton nom sur ce tabouret, alors fous lui la paix et va voir ailleurs si t’es pas contente. Ce qu’on sert dans ce bar a le même goût quelle que soit la place où on est installé. »
La fille me regarde avec un air dégoûté. Elle ne trouve pas quoi répondre, et s’en va. Justin me regarde avec fascination. Je lui souris.
Après tout, Jed n’est pas disponible…
Ca compensera.