Fragment #87 - L'envol

Je glisse distraitement la main sous mon oreiller. Quoi ?? Plus que des papiers vides ? Je ne me suis quand même pas enfilée en si peu de temps l’énorme paquet de bonbons que m’a offert Théo ? Bon, il semblerait que si ! Cela dit il m’a bien aidé hein ! Depuis plus d’une semaine, Théo passe pas mal de temps près de moi et ma fille. Je me surprends même à le laisser la prendre dans ses bras, alors que je déteste ça en temps normal. Mais après tout c’est un pédiatre (ou presque !) il a donc l’habitude de s’occuper de petits bouts comme Kokhavah ! Sans lui, j’avoue que le temps m’aurait semblé bien long. Voilà déjà plus de deux semaines que nous sommes là ma petite et moi, et je commence à me sentir complètement lobotomisée à force de passer mon temps devant les débilités que la télévision propose ! Kokhavah dort beaucoup. Le reste du temps je peux profiter d’elle au maximum est c’est un vrai bonheur de la voir changer et avancer de jour en jour.
Au milieu des blagues vaseuses de Jean-Luc Reichmann dans Attention à la Marche (oui, je suis tombée bien bas !) j’entends ma Poupée commencer à gazouiller.
Elle est réglée comme du papier à musique ! C’est vrai, c’est l’heure de la tétée.
J’attrape ma petite gloutonne contre moi et la couvre de baisers à l’en étouffer avant de la poser délicatement contre mon sein.

On frappe à la porte :
« Entrez ! »
Théo entre d’un pas décidé puis fait volte face en apercevant ma nudité.
« Oh pardon Lola, j’suis désolé… Tu… tu as dit d’entrer alors je croyais … je repasserai !
- Mais ça va gros béta ! Si tu deviens tout rouge à chaque fois que tu aperçois un petit bout de sein, laisse moi douter de ton avenir dans la pédiatrie hein !
- Heu oui, t’as raison, j’suis con des fois ! »
Peut-être, mais son regard n’en reste pas moins fuyant !
« Je venais pour t’annoncer une super nouvelle !
- Bon attend, je la pose et je suis à toi ! »
Je repose ma fille dans sa petite couveuse et remonte mon tee-shirt sur mon épaule dénudée, guettant en coin les joues rosies de Théo.
« Allez, dit moi tout ! Tu m’as dégotté un autre paquet de bonbons, ça tombe bien, j’ai mangé le dernier ce matin !
- Et non, perdu !
- Une meilleure nouvelle que ça ? Impossible !
- Tu rentres chez toi Lola, VOUS rentrez chez vous… dès demain matin.»
Mon visage se fige, je le sens. Et je sais qu’il l’a vu. J’essaye de reprendre mes esprits… Je devrais être contente pourtant.
« Heu, déjà ? Mais, tout va bien c’est sur ? Parce qu’on peut rester encore un peu tu sais, on est plus à ça près !
- Ca fait déjà deux semaines que vous êtes là Lola, et puis tu sais tu aurais du sortir il y a un moment déjà. On a préféré te garder parce que tu as perdu pas mal de sang pendant l’accouchement, on voulait être surs que tu reprennes assez de force avant de partir. T’es pas contente ?
- Heu si, bien sur … Mais me retrouver toute seule, avec ma fille. D’un coup je me sens toute bizarre. Livrée à moi-même, je sais pas si je vais savoir faire... »
Théo vient s’assoir près de moi sur le lit étroit de l’hôpital et me prends la main. C’est au tour de mes joues de rosir…
« Attends Lola, je viens vous voir presque tous les jours la petite Koko et toi. Et franchement, vous vous en sortez super bien ! Et puis il y aura tes parents, tes copines. Je sais bien que tu ne seras pas toute seule !
- Oui mais toi, tu ne seras plus là … »
Les mots ont forcé les barrières de mes lèvres, ils sont sortis sans que je ne puisse rien contrôler, et je le regrette presqu’instantanément. Je sens la main de Théo se resserrer un peu plus sur la mienne.
« Je ne serai pas loin… tu sais où venir me trouver si tu es en manque de bonbons ! Et puis si tu veux bien, je pourrais passer vous voir de temps en temps ? Je crois que Kokhavah va me manquer… »
La sonnerie stridente de son bipper vient troubler ce moment sans que je n’aie pu répondre quoi que ce soit… Il se lève sans un mot et se dirige vers la porte. Puis il se retourner et me regarde :
« Toi aussi tu sais…
- Quoi ?
- Toi aussi tu vas me manquer… »
La porte se referme sur lui l’instant d’après, me laissant seule sur ce lit étroit où il était il y a quelques secondes, la main vide de lui et pleine de son odeur…