Alsciaukat
| Sujet: Fragment #64 - Statue de sel 13.04.08 10:37 | |
| Vendredi 30 mars 2007 à Tours « Tu vas suivre le cours, ou écrire, aujourd'hui ? » Je regarde Georges. Depuis que Marie ne vient plus à côté de moi, c'est lui qui prend cette place. Je n'ai pas l'impression de gagner à l'échange. Les éclairs blancs dans le regard de mon voisin sont calmes, pour l'instant, et c'est une rivière qui découle lentement de ces yeux qui me fixent. Le ton sur lequel il a dit sa phrase me laisse perplexe, je n'arrive pas à savoir si c'est moqueur ou non. Son attitude semble laisser envisager que sa question puisse être sérieuse. Je ne réponds pas tout de suite. Je n'avais pas l'intention d'écrire, mais la simple évocation de ce mot fait fuir mon esprit de la réalité, et déjà s'entrouvrent à mes yeux des univers de rimes, des échafauds compliqués de mots s'emboîtant avec perfection les uns dans les autres, insaisissables, et dont seules quelques bribes me parviennent lorsque je veux les étaler sur le papier. « Je... crois que je vais écrire... » Il sourit, d'un air franc. Georges, tu me détestes, pourtant. Alexandre se penche vers moi, de l'autre côté. « Qu'est-ce qui se passe ? - Rien... - Oh... » Il se détourne de moi pour répondre à une question de Marie. Le professeur se lance dans le cours. Je ne suis déjà plus, j'ai rejoint les sphères de mots. Autour de moi flottent des bulles où s'emmêlent les lettres, fenêtres ouvertes sur des possibles que je dois choisir et mettre en forme. Le décor s'efface autour de moi, je me retrouve dans une plaine ensoleillée. Au milieu des flots bleus scintille une étincelle Encadrée çà et là d’arabesques rougies Qui dansent lentement autour du pré où gît Allongée, immobile, une statue de sel.
Le sel. Les pleurs. Je revois une silhouette triste et voûtée, devant le lycée lorsque j'y suis entré, fumant une cigarette sans y prendre garde.
De la fumée s’exhale de sa peau diaphane En un brouillard épais qui recouvre le champ D’une couche glacée au parfum alléchant, De ceux qu’offrent les fleurs qui trop vite se fanent.
Au cœur de la statue s’agite un feu ténu, Une flamme fragile animée par l’espoir, Que l’incompréhension veut rendre faible et nue.
Quand les flots bleus s’éteignent et qu’arrive le soir, Le cercle translucide se laisse plonger Sur la triste silhouette dans l’herbe allongée.
Réveil. Georges est déjà en train de lire. J'ai manqué plusieurs tableaux, que je vais devoir rattraper d'une manière ou d'une autre. Je relis ce que je viens d'écrire. Moyen. « Un peu moins bien que l'autre. » Je suis bien d'accord. J'acquiesce en silence, puis range la feuille dans mon sac, pour prendre le cours où il en est. | |
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