Fragment #66 - Les autres rient

« Hé… »
Je ne lève pas la tête. Je n’ai pas envie d’y arriver. Alors je n’y arrive pas. Elle reste, de plomb, penchée vers la table, emprisonnée dans son auréole de brume glacée.
« Léo… »
Bon. J’ai l’impression d’entendre résonner les articulations de mon cou brisant sa gangue d’immobilité. Je fixe Paul. Je suis à la place qu’il occupe habituellement. Eh bien ? T’es incapable de changer de place ? Ca va te faire quoi, tu vas mourir ? Qu’est-ce que tu veux, sale con ?
Il recule d’un pas. Il ne répond rien. Ouvre la bouche, la referme. Mon pétrole l’asphyxie, et, lentement, comme si cela lui demandait un effort surhumain, il se détourne. Je vois ses mains trembler. Il se dirige ailleurs.
La fenêtre attire mon regard furieux. Il fait beau. Quelques nuages parsèment le ciel mais ne parviennent pas à masquer le soleil qui trône au milieu de ses flots bleus. Putain de temps. Le bruit environnant me donne mal au crâne, et je voudrais pouvoir tous les faire taire d’un seul geste, comme mes yeux ont fait battre Paul en repli. Je sors mes affaires.
Le cours commence, et les mots résonnent en moi, s’assemblent, les symboles se chevauchent en des fresques délirantes. Je comprends tout et ne saisis rien. Les mots tentent d’affleurer à la surface de mon esprit mais sont refoulés par la glace. J’écris plus mal encore que d’habitude. Et un peu plus loin, les autres rient.