Alsciaukat
| Sujet: Fragment #74 - La naissance du corbeau 13.04.08 16:23 | |
| Vendredi 20 avril 2007 à Saint Avertin Yeux gris. C'est étrange d'avoir les yeux gris. Je m'approche du miroir. Ils sont réellement gris, à exacte distance du blanc et du noir, le mélange des deux valeurs. Je cligne des yeux, brisant cet échange de regard entre mon reflet et moi. Brosse à dent. Dentifrice. Pénible tâche, esclavagisme de l'âme par le corps. Tout en contemplant par la fenêtre le ciel, reflet de mes pupilles, je repense à mon rêve. L'air glissant sous mes bras, sous un soleil de plomb. La liberté, la pureté. Il ne m'arrive que rarement de ressentir des émotions aussi vives et fortes au cours d'un rêve, mais cette impression d'innocence est encore gravée en moi ce matin, exactement comme si j'étais encore plongé dans le rêve. J'ai envie de le faire sortir, de le coucher sur le papier, mais la salle de bain n'est pas forcément l'endroit idéal pour cela. Tant pis, les mots s'alignent dans mon crâne.
Le vent glisse sous les ailes blanches De l'oiseau qui plane dans le bleu, Ivre d'un sentiment fabuleux Qui brille au fond de ses yeux pervenches.
Juste en dessous s'étale la mer, Lisse et brillante étendue d'argent Dont l'éclat puissant et dérangeant Creuse dans l'oiseau un puit amer.
Ce tiraillement également reste encore en moi. Cette cassure dans la continuité du vol. Comme si on me tirait d'une longue et paisible existence, qu'on me mettait sous les yeux les pêchés des hommes, le mal, et que je n'avais pas la force d'y résister. Irrémédiablement attiré par le sol.
Il s'abandonne enfin, se détend, Plombé par son coeur qui se vérole, Usé par la lumière du temps.
La mer s'est couverte de pétrole, Qui naissait quand périssait l'espoir. Quand l'oiseau se relève, il est noir.
Je me souviens de l'absence de sentiment à cet instant. La colombe s'est transformée en corbeau, et celui-ci s'en moque. Il se moque de son origine, il sait seulement qu'il est là, tâche obscure perdue au milieu de la marée noire. Il a vu le mal, l'a laissé le pénétrer, sans se défendre, sans faire le moindre mouvement. Mes yeux se sont assombris, dans le miroir. Il n'a pas bougé quand le liquide poisseux s'est glissé entre ses plumes, il a accepté son destin avant même d'y être contraint. Une naissance aux sonorités de décès. Je crache tout dans l'évier. | |
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