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 Fragment #86 - Le monologue du Corbeau

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Alsciaukat

Alsciaukat



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MessageSujet: Fragment #86 - Le monologue du Corbeau   Fragment #86 - Le monologue du Corbeau Empty13.04.08 16:45

Mercredi 30 mai 2007
à Tours

Un éclat de rire, non loin derrière. A son bureau, monsieur Racine ne lève pas la tête de l'ordinateur qui accapare son attention. Ses sourcils froncés qui accentuent un air un peu sévère surmontent des yeux marron braqués sur l'écran, et renforcent son attitude concentrée, qui lui donne l'allure d'un scientifique en pleine expérience. C'est comme si pour lui nous n'existions plus, puisque nous ne sommes pas vraiment en cours ; depuis que le cours de sciences de l'ingénieur, à la demande du professeur concerné et ce pour une vague histoire d'emploi du temps, a été déplacé de dix heures à onze heures au lieu de la dernière heure de la matinée, les informaticiens ont ce passage vide, entre deux cours de physique, qui n'offre pas vraiment le temps de sortir, pas vraiment le temps de travailler, ni de se distraire, et finalement donne seulement lieu à quelques discussions et plaisanteries qui donnent plus l'impression de vouloir combler le creux que d'exister pour elles-mêmes. Les élèves sont assis par petits groupes de deux ou trois, parlent à mi-voix, plus fort que durant un cours puisque ce n'en est pas un, et moins fort que dehors puisqu'ils sont malgré tout en salle et que le professeur est toujours présent au fond.
« Ca va Léo ? T'as l'air un peu fatigué. »
Je soulève ma tête de mes bras que j'avais croisé devant moi sur la table. C'est vrai, je suis un peu fatigué, et sans doute cela se voit-il à mon attitude et aux traits légèrement plus creusés que d'habitude de mon visage. Georges m'énerve autant qu'il suscite mon respect, lorsqu'il parvient à observer sur moi des signes qu'aucun autre dans la classe n'aurait remarqué, parce que sans les dissimuler totalement, je m'arrange toujours pour les rendre discrets et sans intérêt. La nuit de lundi à mardi a été plutôt courte, et hier soir encore je me suis couché tard, occupé à penser. Je crois que Jérôme s'entend bien avec Thibault et sa femme. Leurs enfants font énormément de bruit, mais restaient heureusement le plus souvent cloîtrés au salon ou dans leur terrain de jeu, et non dans la chambre qui nous avait été allouée, à moi et mon père, fort heureusement assez spacieuse pour que nous y ayons chacun notre couche. Comme ils ont bu le lundi après-midi, nous avons du attendre le milieu de soirée pour repartir. Et la panne en cours de route nous a finalement fait arriver au-delà de minuit à Saint Avertin. Je ne réponds rien de tout cela à Georges. Je lui jette juste un rapide regard.

« Frère, regarde toi. Tes plumes sont salies,
Roussies par le soleil, tordues par les bourrasques,
Et ton corps maladif n’est guère plus qu’un masque
De blessures à vif, prélude à l’ordalie.

Derrière lui, à une table, Anthony et Frédérick se parlent à voix basse. Je n'ai pas vraiment fait attention à eux jusque là. Je les soupçonne d'être homosexuels, comme auraient tendance à le confirmer leurs genoux collés l'un à l'autre sous la table et leurs yeux légèrement brillants lorsqu'ils se regardent. Ils ne l'ont toutefois jamais plus affiché que cela, et la chose passe plutôt bien dans la classe, malgré son statut officieux. Ils sont très discrets, parlent peu. Insignifiants.

- Et alors, après tout ? Que m’importe cela ?
Rien pour moi ne dépasse le fait d’être seul,
Ivre de liberté dans le ciel, un linceul
Comme j’en voudrais un ; cela s’arrête là.

Georges ne me quitte pas du regard, je sens la masse de ses yeux sur ma tempe, le fleuve blanc qui coule sur moi, comme pour tenter de me laver de mes exactions, poursuivre malgré mon dédain et mon refus cette entreprise de pardon. Georges, celui qui offre l'absolution pour le monde entier, qui comprend tout et sait tout. Je ne veux pas lui renvoyer le reflet d'ébène de son regard. Je pense à Marie. Ses regards aussi sont désagréablement insistants et incessants ; que je me tourne vers elle, et aussitôt elle fait mine de ne jamais m'avoir observé, pour reprendre cette analyse implacable dès que je me désintéresse d'elle. Ses yeux brillent de nouveau. Elle regrette notre séparation. Cette froideur que j'ai retrouvé, cette immobilité, cette puissance latente qui doit émaner de moi depuis que mes entrailles se sont offertes au froid de la glace, cet ensemble la séduit, l'attire, comme un insecte aime se brûler les ailes contre une bougie, fasciné par la lueur du feu, inconscient de sa chute prochaine s'il s'en approche trop. Je ne la reprendrai pas.

- Kyrielle d’animaux des cités te déteste.
- Mais ils sont domestiques, c’est qu’ils sont jaloux,
Ou bien je les effraie. – Rien d’étonnant, du reste.

Et, depuis hier, me reviennent en tête deux prénoms encore étrangers pour moi, empreints de mystère, d'un mystère qui ne peut être élucidé que via msn, où je répugne à aller désormais. Je ne sais toujours pas ce qu'ils font dans mon carnet d'adresse, qui ils sont, ce qu'ils savent exactement de moi. Je me rappelle de cette fois où Nathan a su me sortir mon prénom, tout naturellement, comme s'il était convenu qu'il le connaissait, que je lui avais dit. Mais je ne dis jamais mon prénom sur internet. Je ne sais pas comment il l'a eu. Cela ne m'inquiète pas, mais attise plutôt ma curiosité. Il faudra que je sache.
Et je pense à Léa.

Ris si tu le désires, leurs regards de loups
Inquiètent d’autres gens, et tu devrais me croire. »
Non peureux, le Corbeau détourne le miroir.
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http://www.myspace.com/adrana
 
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