Alsciaukat
| Sujet: Fragment #87 - Le vol du Corbeau 13.04.08 16:46 | |
| Lundi 4 juin 2007 à Tours et Saint Avertin Des corbeaux, sur les toits. Leurs corps d'ébènes ressortent vivement sur la surface grise et parcourue de stries obscures des tuiles du bâtiment le plus proche des fenêtres de la salle de mathématiques où nous faisons cours. Les silhouettes décollent régulièrement de leur perchoir, en des sauts plein de grâce, pour aller se perdre dans l'immensité du ciel, qui oscille entre un bleu pâle et un blanc s'assombrissant par endroit. Leur ballet m'hypnotise, détournant définitivement mon attention du monologue du professeur aux allers-retours incessants devant le tableau et du bruit des dizaines de plumes et billes qui frottent activement le papier autour de moi sous le regard concentré de leur propriétaire. Georges même a renoncé à tenter de me ramener sur le cours, préférant sans doute le prendre pour lui déjà, ou bien ayant compris qu'il était de toute façon vain d'essayer de me faire agir contre ma volonté. Et pourtant, malgré cette indifférence que j'éprouve pour ce cours que je connais déjà, l'ayant lu dans un manuel hier, je sens que tous ces mots auxquels je n'accorde pas la moindre parcelle de mon être s'impriment en moi, gravent dans les fibres de mon cerveau leurs traces indélébiles, de telle sorte que je m'en rappelle avec précision envers et contre tout, faisant fi de mon envie de les oublier pour mieux me consacrer aux oiseaux qui s'agitent à l'extérieur, fantômes obscurs, pour peut-être comprendre ce qui rythme leurs envols, saisir l'essence de leur vie, ce qui les maintient debout, puisque ce qui maintient les humains debout jour après jour, après m'avoir intrigué, s'est finalement révélé ne pas avoir d'intérêt pour moi. Je sens qu'un stylo s'est niché au creux de mes doigts et que ceux-ci se mouvent, écrivent.
Une étendue de neige règne sur le ciel, Fait scintiller de blanc les murs de la cité, Éblouit les passants dans les rues agitées, Satisfaits de leur monde et de leurs vies partielles. Au-dessus de leurs têtes, roi d’indifférence, Le Corbeau les observe de ses yeux de jais, Se moque éperdument de subir leur rejet, Seulement soumis à sa propre tempérance.
La sonnerie retentit. Ma main n'a pas fini. C'est différent des autres fois. Je sens que ce sonnet marque une fin, ou un commencement, je ne sais pas vraiment. Dehors, les corbeaux continuent leur rythme entêtant. Y a-t-il vraiment quelque chose à comprendre ? Est-ce que je délire ? Et brusquement, dans un battement d'ailes et un tourbillon de poussière, je perds l'espoir de trouver ici ce que je cherche. Les corbeaux sont simplement tels que je les ai dépeints. Indifférents. Ca ne suffit pas, je ne peux pas continuer à décrire les corbeaux. De toute manière le cycle est presque achevé. Je sens dans ma tête les mots du premier tercet se mettre en place d'eux-mêmes tandis que je descends les escaliers, calmement, peu à peu doublé par le reste de ma classe, Georges ne m'attendant pas cette fois-ci. Seuls ceux discutant avec le professeur doivent encore être en haut. Je débouche dans la cours inondée par un soleil timide qui se reflète sur le bitume chaud. Encore des oiseaux, dans le ciel. Je m'en voudrais presque. Que de temps perdu ! Mais cela n'importe que peu. Un nouveau cycle va commencer. Un cycle qui explorera d'autres pistes. Je chercherai ma raison à travers les animaux qui sont en moi et dans le monde. Je passe devant le chauffeur, un homme édenté au visage triste, sans faire attention à lui, et pourtant en gravant son visage dans les moindres détails à l'intérieur de ma boîte crânienne, contraint de m'en souvenir. Je m'assois plus loin dans le bus. Le ciel est son domaine, il s’y pavane en roi, Seul occupant des cieux qui pèsent sur la ville, Insensible aux émois, bonheur ou désarroi.
Plus qu'un tercet, et cette page sera tournée. A travers les cheveux blonds de mon reflet, j'observe la nature qui défile, piégée par les barrières, les enclos, les poteaux. Je descends à mon arrêt, marche vers la maison. La structure du dernier tercet se met petit à petit en place, les mots trouvent leurs échos. Je pousse le portail de la maison, le referme derrière moi. Le monde s'efface, mes pieds trouveront seuls leur chemin. Ce qui s'offre à mes yeux n'a pas d'importance, tandis que ce premier cycle s'achève.
Les bêtes domestiques, selon lui serviles, Le haïssent un peu plus chaque fois qu’ils le voient ; Mais lui se fiche bien des cris qu’ils lui envoient.
« Léo ? J'ai invité Christelle à dîner samedi soir, tu seras là ? » | |
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