Alsciaukat
| Sujet: Fragment #77 - Accompagné en silence 13.04.08 16:28 | |
| Jeudi 26 avril 2007 à Léon Léa garde la tête dans les mains, assise, les coudes appuyés sur les genoux. Ses cheveux blonds sont parsemés des tâches d'ombre qu'y laissent les percées des arbres. Une moue légèrement boudeuse s'étale sur son visage encore un peu enfantin. Et ses yeux clairs, qui brille d'un éclat doré encore peu prononcé, restent fixes, dirigés sur ce point imaginaire qu'elle aime tant. Une fourmi lui monte doucement sur la jambe, mais elle ne bouge toujours pas. Je crois qu'elle est bien, ainsi. Je ne bouge pas non plus. Un vent tiède souffle sur nous ; je le sens contre mes jambes, faisant fléchir mes poils. Et c'est agréable. J'irai presque jusqu'à dire qu'ainsi, je suis bien. Les gens qui ne ressentent pas le besoin presque maladif de parler tout le temps, de meubler le moindre silence, sont rares. Léa en fait partie, même si je crois que c'est simplement qu'elle n'a pas envie de parler, et non qu'elle désire réellement profiter du silence. Seulement, la différence est-elle vraiment importante ? C'est étrange de se dire que je parviens à supporter une gamine comme elle, moi qui hais le monde entier. Je comprends mieux, quelque part, ce proverbe, mieux vaut être seul que mal accompagné. Jusqu'ici, j'avais toujours pensé que mieux valait être seul, tout court. Finalement, ce n'est pas forcément plus mal d'avoir quelqu'un non loin de soi, si cette personne ne nous dérange pas. Ne pas déranger, c'est sans doute un bon prélude à soulager. Et je n'ai toujours pas démonté leur couple. Je vois leurs œillades, leurs sourires complices, mais je ne trouve rien à faire pour les séparer brutalement. Je n'ai pas vraiment la motivation. Ici, il fait bon et beau. J'avais oublié ce que ça faisait de partir en vacances. Je me surprends à ne pas vouloir retourner en cours... Et si c'était ça, la vie ? Simplement passer ses journées dans les bois, ou devant le mobilhome, sur un fauteuil, à regarder les arbres. C'est stupide. Le climat d'ici me détraque. Quelle idée, quel ennui ! Et pourtant, je ne m'ennuis pas vraiment lorsque je ne fais rien, ici. Ce n'est pas comme devant l'ordinateur : si je ne fais rien, j'y suis quand même, j'ai besoin de faire quelque chose, besoin de laisser courir mes doigts, de faire du mal, de sentir que j'ai une emprise sur la vie des autres et que je peux les réduire en miette. Là, rien de tout ça. Même les fourmis ont leur droit de mouvement. Nous restons longtemps ainsi, moi debout, elle assise. Le soleil se déplace peu à peu au dessus de nous. Quelque part, Jérôme et Christelle doivent rire ensemble, sans oser se toucher la main. C'est comme s'ils étaient les adolescents, et que Léa et moi étions les grands-parents. Et finalement, l'astre diurne parvient à la fin de sa course. Le disque décroît lentement derrière la ligne d'horizon, et ses rayons d'or rebondissent sur les nuages en des cascades brillantes. Il s'enfonce encore un peu, teintant le ciel de rose et de bleu. J'attends l'étincelle verte censée arriver à l'ultime instant, mais elle n'arrive pas. Léa se lève, prend la route des mobilhomes. Je la suis. | |
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