Altaïr
| Sujet: Fragment #52 - Le Modulateur 09.04.08 17:35 | |
| Samedi 12 août 2006 entre Paris et le Kremlin-Bicêtre "Cette année-là, 1348, au mois d'août, on vit au dessus de Paris une étoile, dans la direction d'Ouest, très grande et très claire." Jean de Venette
J’ai rayé rageusement des lignes et des lignes de carbones, de mots mauvais, d’idées stériles, et mon carnet s’est changé en cimetière morbide. Le filon m’obsède, je sens qu’il y a quelque chose à en tirer, mais je n’y parviens pas. J’ai commencé par créer un personnage adapté à cette nouvelle histoire, mais il était inintéressant, une chrysalide sans consistance. Il m’a alors fallu reprendre un ancien et le copier-coller dans ce nouveau scénario d’existence. Arthur s’y est parfaitement intégré, comme s’il avait été conçu pour ce rôle. Après tout, son existence antérieure était brève et n’interdisait pas la révélation d’une origine divine. Arthur est le descendant d’un dieu de l’Olympe. Et après ? C’est là que l’inspiration s’achève. Je n’ai qu’un personnage, et pas d’histoire. La colère monte, j’ai envie de balancer le cahier, de casser le crayon, de tout envoyer balader. Mais je ne bouge pas, je ne fais que subir cette vibration, cette pression qui s’exerce sur moi avec puissance. Merde, je n’y arrive pas ! Nathan aurait su canaliser mon inspiration. Il sait agir sur moi comme un modulateur de ce flux aléatoire et incontrôlable. Il me manque…
Après presque deux semaines, me retrouver ici, dans son appartement, cela sonne étrangement. Nathan m’apporte un café, bien noir et fort comme il sait si bien les faire. Je lui expose la situation, le donné supplémentaire dont j’ai paré Arthur. Il ne cille pas un instant. Nous avons pris l’habitude de parler d’Arthur et de mes autres personnages comme de gens réels, des amis intimes. « Il le sait ? me demande Nathan. - De quoi ? - Qu’il descend d’un dieu ? - J’en sais rien. Je pense qu’il fait semblant de ne pas y croire, mais au fond de lui il le sait, il le sent. » Nathan acquiesce, sérieux.
Je serai sans pitié. Je n’en épargnerai aucun. Bleuette périra, ils périront tous. Le petit éden autarcique se changera en cimetière, comme mon carnet. Arthur les frappera d’une épidémie de peste, par vengeance d’enfant. Et un à un ils succomberont, les beaux adolescents sucrés, puis Lui, celui qu’Arthur regarde mais qui lui ne regarde personne, et Bleuette périra à son tour, parce que c’est injuste, et parce que les dieux sont injustes, et que les dieux sont beaux, et que ce qui est injuste l’est également. Et Arthur rentrera seul chez lui, avec l’atrocité de ce crime, dont ses mains ne seront même pas salies par la moindre tache de sang.
Nathan exacerbe ce qui est noir en moi et m’aide à le décanter. Il est le modulateur de mes idées obscures, le gardien de l’écluse de mes ténèbres intérieures. J’ai tracé sur papier mon désir de mort, une pulsion de carnage. Les mots « pestes » et « épidémies » me fascinent, par leur puissance et leur beauté mortifère. Un bel enfant qui répand la mort autour de lui… C’est l’horreur née de mon cerveau. Ma colère, elle, s’est tarie. | |
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