Bételgeuse
| Sujet: Fragment #49 - Angoisse Madrilène 13.04.08 18:47 | |
| Samedi 9 septembre 2006 à Dijon Mon index s'enfonce sur la sonnette. J'ai un peu chaud, je n'aurais pas dû prendre de veste. Bon qu'est-ce qu'il fout, bordel ? Le mec de l'autre côté de la rue, je sens qu'il m'observe. Etrange impression. Je l'appelle, ça sonne dans le vide. Décroche, putain. ... alors laissez-moi un message ! BIP. « Bon Francis, je suis devant ta porte, là. Je me sens ridicule, c'est bien aujourd'hui qu'on avait rendez-vous, non ? Bon, rappelle-moi. Bye. » Je garde le téléphone dans la main, et mes jambes, soudainement pleines d'élan, m'entraînent dans la rue, puis dans une autre rue, et encore dans une autre rue... L'impression que je traîne depuis cet après-midi s'est confirmée. L'anniversaire a été annulé. Un paquet cadeau dans les bras, j'appelle ma mère sur son portable, avec un peu de chance, elle est encore tout près d'ici... alors, laissez-moi un message ! BIP. « Maman, euh... l'anniversaire a été annulé, je ne m'en souvenais plus. Tu peux revenir me chercher ? Rappelle-moi. » Je me met en marche, aucune envie de rester ici. Mais comment est-ce que j'ai pu oublié ? Mes épaules frissonnent. Je fais sonner son portable. Une fois, deux fois, trois fois. Elle va bien finir par regarder qui l'appelle ! Mon estomac se tord. Je suis seule, seule avec un paquet cadeau, je devrais faire la fête, mais l'on m'a abandonné. Et même ma mère, ma propre mère, ne répond pas à mes appels. Soudain, je n'ai plus 20 ans, j'en ai 5, je suis une toute petite fille perdue en plein Madrid. Mes jambes avancent vite pour essayer de laisser derrière elles mon cerveau, qui peu à peu s'embrume de larmes. Elles remontent au bord de mes yeux, grelottantes d'envie de rouler sur mes lèvres tordues d'angoisse. Répond, allez, répond... Répond, putain, répond... Je continue à avancer, vite, en ligne droite. Je sens mon cœur qui s'emballe, ma paume devenir moite sur la coque du portable. Je réprime un cri lorsqu'un homme sort de chez lui, je ne l'avais pas remarqué. Sous mes pieds, les trottoirs de Dijon sont ceux de Madrid... Un passant me frôle l'épaule, je fais un bond de côté. Qu'est-ce qu'ils me veulent, tous ? Laissez-moi, laissez-moi ! Je veux juste rentrer chez moi, arrêter de trembler, arrêter de pleurer. Je fais sonner son portable, douze fois, treize fois. La batterie émet un couinement plaintif, annonçant son dernier râle tout proche. Comment je fais si elle me lâche ? Putain, connasse ne me lâche pas maintenant ! Je fais comment, moi ? Je n'ai rien pour appeler d'une cabine. Et si elle essaie de m'appeler ? Je range mon portable dans une des poches arrière de mon jean. Putain de batterie. Faites qu'elle tienne. Je déglutis. Ne surtout pas laisser la panique venir. Ne surtout pas la laisser s'installer. « Sylvia, tu m'écoutes ? Ne la laisse pas prendre possession de toi ! » De plus en plus vite sur la ligne droite. Ne m'approchez pas, ne m'approchez pas ! Je connais ce chemin mais aujourd'hui il me semble que je lui suis étrangère. Elle va rappeler, elle rappellera. Mama, ne les laisse pas s'approcher de moi ! Je sanglote, ils me regardent. Arrêtez ! Vous, les larmes, arrêtez ! Vous, les Autres, arrêtez ! Mon estomac se tord, mon cœur se noue, mon sang s'emballe. Je ne pleurerai pas. Pas ici. Mes jambes avancent de plus en vite, toujours droit devant moi. Ridicule, Sylvia. Je sais ! Ne me laissez pas... Mon système digestif tout entier fait un bond dans ma poitrine lorsque je sursaute violemment à la vibration de mon jean. Je vide mes poumons en un souffle de ma bouche. « Allô, Francis ? » | |
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