Fragment #50 - Croissant

Amertume du café noir. Francis coupe un demi-sucre et le plonge dans Sa tasse, le liquide brûlant remonte par capillarité sur le morceau, qui de blanc passe vite à ambré. Je croise Son regard en remontant le nez de mon bol, j’esquisse un sourire, qu’Il me rend, complice, tendre, et en même temps teinté de pudeur. Quel contraste avec d’autres moments vécus ensemble ! Le soleil est au rendez-vous, trop chaud. Mais ses rayons facilitent mes sourires, malgré tout. Pourtant, je commence à me sentir trop à l’étroit dans ma peau chauffée à travers la vitre. Je ne sais toujours pas pourquoi je ne supporte plus la chaleur. C’est juste… dommage, ouais, dommage, parce que le soleil me fait parfois du bien, mais tellement de mal.
Il sort un croissant du sac en papier de la boulangerie. Ses mains en déchirent un morceau, lentement, Ses doigts brillent un peu du beurre qu’ils caressent. Puis Il porte le morceau à sa bouche, Ses dents en déchirent encore un morceau plus petit. La vie n’est qu’une suite sans fin de morceaux de morceaux de morceaux de morceaux… A la fin, il ne reste que les miettes. « Tu en veux ? » Je sens la lueur d’espoir qui pointe dans sa question qu’il a voulu la plus banale possible. Je fixe Ses grands yeux, lui souris.
« Non merci, j’admirais juste tes lèvres. »
Discrète déception.
J’imagine le goût du croissant, un goût de beurre fondu, et j’ai envie de vomir. J’avale vite une gorgée de café, mais le goût imaginaire est bien là, toujours, aidé par les effluves que dégage la demi-lune moitié entamée dans Ses mains. Je me lève d’un bond, où est ce foutu paquet ? Ses yeux sont tout étonnés de me voir farfouiller ainsi ; je le retrouve, sur le canapé du salon. Je m’allume une clope en revenant dans la cuisine, souffle la première bouffée. Souris. J’attrape un gobelet qui traîne, tire encore une latte, la fumée brûle et mes papilles gustatives et mon odorat ; je tapote ma Demoiselle de Fumée pour faire tomber la cendre dans le gobelet. M’assieds.
« Il reste du café ? »