Bételgeuse
| Sujet: Fragment #84 - Sept ans de malheur 13.04.08 19:52 | |
| Vendredi 15 décembre 2006 à Dijon Tourbillon coloré. La musique m'emplit les poumons ; l'atmosphère enfumée fait pulser mon coeur et vibrer le moindre de mes muscles. Des gouttes de sueur roulent sur mon front, trempent quelques mèches de cheveux, collent mes vêtements à ma peau. Les basses résonnent dans ma cage thoracique, l'alcool et les rythmes telluriques me font tourner la tête, je plane, ne sens presque plus mon corps qui me crie grâce, me supplie d'aller m'asseoir quelques minutes et boire une gorgée d'eau, je ne l'entends plus, plongée que je suis dans mon Esprit qui tourne, virevolte, se transforme en fumée et s'envole en un nuage épais. Mon corps-liane s'enroule autour de celui d'un inconnu, ses mains remontent dans le creux de mes reins dégoulinant. Nos bassins s'accordent en suivant la musique qui me frappe le coeur et le cerveau. J'oublie. Je ne sais même pas quoi, mais j'oublie, les gouttes salées qui coulent le long de moi emportent tout, il n'y a plus que la musique et les mains de l'inconnu. Et son regard... Et la Vérité me frappe de plein fouet. Et soudain, je les sens, tous ces yeux rivés sur ma Chair qui se lie et se délie parfaitement en rythme, sur mon Corps langoureusement collé à celui d'un autre, ils percent ma peau et me crèvent les veines, se plantent dans tous mes organes internes, mon estomac se serre, mon coeur se liquéfie. Et je me vois, moi aussi, je suis à leur place, et je me vois, je vois l'absurdité de cette enveloppe charnelle qui cherche à se rendre désirable, ridicule abjection de la nature humaine, le Corps, le corps souverain, le corps bien-aimé, là où il n'est rien de plus qu'une enveloppe pour l'Ame. Je me revois nue et misérable, tremblante, devant l'Amant dont j'avais toujours rêvé. Je revois mes larmes, et je revois le plongeon à l'intérieur. Je me défais brutalement de la peau de l'homme qui colle à la mienne, la gorge nouée. Alors je les sens monter, les petits bouts transparents de mon âme et, transpercée de la lance aiguisée de leur regard, je m'enfuis aux toilettes. Et Il est là. Il m'observe, et je m'observe à travers Lui. Il me semble qu'Il m'attendait, et avec son petit air souverain, me jette un « Tu ne peux vivre sans moi, car vivre sans moi c'est vivre sans toi. Comprends-tu cela ? » Il regarde les larmes qui se mêlent à ma sueur, je l'entends qui m'explique qu'Il est devenu tout, qu'Il est le Temps, qu'Il est l'Espace où je me trouve, qu'Il est le Moi et le non-Moi, je l'entends qui ricane, et le Vertige s'empare de mon esprit, je l'entends qui me rit dans la tête, et j'ai la tête qui tourne, et la gorge nouée, et toujours ce rire diabolique, et une boule de chaleur remonte de mon ventre jusque dans ma poitrine, et je le regarde, je me regarde dans Lui. Puis, plus rien. Le rire s'est arrêté. Le reflet s'est brisé. Sept ans de malheur... Et des filets de sang coulent le long mon poing sur les morceaux de Lui. | |
|