Fragment #110 - Elle s'appelle Lullaby

« C'est bon, je paie ma tournée ! » Entre mes doigts, les billets froissés me brûlent la peau. Les dépenser, ne plus garder de trace visible du poison que je répand, juste le tourbillon intérieur de honte mêlée de culpabilité. Elle me tend une clope. Une heure que je l'ai rencontrée, une heure et déjà son souffle résonne à l'intérieur de moi, aussi fort que les basses de la musique qui nous entoure. Elle s'appelle Lullaby, à prononcer « Loulabie ». J'ai d'abord cru que c'était une blague, mais ça n'en a pas l'air. Elle est venue avec un ami à elle, en ce moment-même en pleine discussion avec Charlotte. Quelques mots me parviennent, « Sidaction », « important », « fléau ». Je préfère les oublier, et continuer à me perdre dans les syllabes légères de ce prénom étrange. Comme toujours, laisser mon enveloppe de chair bassement sur terre, et sentir mon esprit s'envoler, au-dessus de vous tous. Et toi, ne voudrais-tu pas venir avec moi ?
« Tu m'as dit que tu faisais quoi, déjà ? » Ses yeux cherchent les miens, qui fuient à la moindre tentative de contact. En regardant le fond de mon verre, je lui réponds que je suis en philo. Enfin, que je suis censée être en philo. Elle sourit. « Je me disais bien t'avoir déjà croisé. Je suis en lettres, on a du se voir à la fac. » En lettres ? Décidément...
Elle est aussi serveuse dans un bar. J'oublie de lui demander où, déstabilisée par son regard désarmant, qui pétille et fait office de soleil dans ce caveau sombre. Je vois ses lèvres remuer, mais n'entends rien ; alors elle vient s'asseoir à côté de moi, et je ne comprends pas la question qu'elle murmure ; son souffle vers mon oreille est délicieux, gourmand et léger comme de la chantilly.
Elle s'appelle Lullaby.