Fragment #61 – Rencontre avec Jed

Je suis devant la porte de sa maison. A nouveau. Il est temps d’en finir avec cette boîte de malheur qui me dévore de curiosité, de cette envie malsaine de l’ouvrir pour regarder ce qu’elle contient, sans tenir compte de Nathan ni de ce Jed, ni de qui que ce soit. Je traverse la cour avec un pincement au cœur, l’appréhension, sans doute, de me retrouver à nouveau face à sa sœur. Mon poing frappe quelques coups à la porte. Petit retour en arrière.

Anubis est à mes trousses, et je tente de le semer dans le dédale des couloirs aux murs de pierres suintantes. La boîte est dans mes mains, et Nalvenn, devant moi, me guide, mon Ariane. Le corps du dieu-chacal fait trembler l’air et la roche. Son œil rouge se devine dans l’ombre. Vite. Nalvenn vêtue de soie blanche, me hâte à chaque bifurcation, une torche embrasée de flammes pâles dans la main. Et soudain je perds sa trace. Où es-tu ma luciole ? Comment pourrais-je avancer sans toi ? Je sens le souffle d’Anubis parvenir jusqu’à moi, et ces serpents de feu dans mes boyaux qui se tordent. Le cauchemar me brûle de l’intérieur. Vite, ouvrir la boîte avant qu’il n’arrive. Mes doigts parcourent le couvercle, fébrilement, et le soulèvent.. Un trou noir gigantesque consume mon champ de vision.

Je me réveille en sueur dans mon temple du sommeil. Il fait encore nuit. Cela faisait longtemps que ce rêve ne m’avait pas hanté. Mes mains se précipitent pour attraper le carnet à songe et y délivrer des bribes de souvenirs de ce songe si étrange. La boîte, désormais, en fait partie intégrante. Association par coïncidence, ou réelle relation entre cet objet et mon impénétrable subconscient ? A présent, il est temps de comprendre.

J’attends un instant avant que la porte ne s’ouvre, pour me retrouver face à Lui, celui qui vit dans le Miroir, mon reflet… Non, ce n’est pas ça. Je suis face à Jed. Enfin. Il me ressemble tellement… Le même regard de braise, quoique plus ténébreux, plus dense. Les mêmes cheveux (était-ce pour mieux lui ressembler que Maman m’a coupé les cheveux hier ?), mais plus sombres. Un visage fin et dur, à vif. Des sourcils arqués comme deux balafres, deux survivances physiques d’une souffrance mentale incessante. Tu es pourtant si jeune, Jed… Nous faisons la même taille, il est aussi menu que moi, à peine plus maigre. Jed Cléart. On m’a donné quelque chose pour toi.
« Je suis Julian Mahogany, Nathan a dû te parler de moi. »
Il acquiesce lentement, sans me quitter des yeux. Nos regards de feu s’affrontent et nous brûlent. Pourquoi suis-je ici ? Ah oui, la boîte. Le ventre de tout ce mystère. Petit organe placentaire entre mes doigts moites. Je la lui tend fébrilement, et l’objet passe de mes mains dans les siennes. Pendant un instant, il la contemple et la retourne entre ses doigts fins, puis relève les yeux vers moi et me remercie. Quoi, c’est tout ? Après tout ça, il me remercie, et je vais me voir fermer la porte au nez, sans savoir ce qu’elle contient ? Je n’étais que le passeur, rien de plus.
« Excuse moi, dis-je avant qu’il n’aie le temps de refermer, j’aurais aimé l’ouvrir avec toi. »
Il me dévisage, ses traits n’exprimant qu’une imperceptible surprise, puis m’invite à entrer. J’ôte mes chaussures et le suit sans tarder. Jed me conduit au salon. La maison tout entière retient son souffle. Nous nous installons sur le canapé, la respiration presque haletante. Quel est cet objet contenu en toi, boîte mystérieuse, pour nous happer d’un tel désir ? C’est tout mon corps, à présent, qui transpire. Je regarde les doigts de Jed jouer avec le couvercle de la boîte, puis le soulever lentement. Je penche ma tête en même temps que lui, puis la relève lentement. Nos regards de feu se retrouvent. Ni lui ni moi ne comprenons ce que tout cela signifie.