Fragment #10 - Le stratagème

J’ai ouvert avec soin un parfumeur neuf. J’y ai versé le contenu de la boule puante, et ai attendu que le liquide à l’affreuse senteur se dépose au fond du récipient de parfum. Je l’ai refermé et l’ai reposé sur le bord de la cuvette des toilettes, bien calé entre l’émail et la lunette en vrai plastique imitation faux marbre. J’ai baissé le couvercle opaque afin de coller à l’aide d’un morceau de scotch ma lettre de départ sur l’émail du réservoir. Je l’ai relu une dernière fois. Puis j’ai adossé à nouveau le couvercle sur le réservoir afin d’occulter la lettre.
Je sais très bien que la seule raison pour laquelle on baisse le couvercle opaque de la lunette des toilettes, c’est lorsque la puanteur est insupportable. Sachant que ni mes parents ni ma sœur ne sont atteint en ce moment d’un quelconque parasite intestinal pouvant occasionner ces désagréments, et sachant qu’un parfumeur neuf se vide en une semaine environ à raison d’une moyenne de six chasses d’eau tirées par jour, il va falloir sept jours à mes parents pour découvrir mon mot. En effet, le produit de la boule puante dérobée dans la chambre de ma sœur fera effet lorsque le parfumeur sera presque vide, puisque le liquide puant est au fond du liquide bien odorant. Et croyez moi aucun pulvérisateur ne viendra à bout de cette odeur.
Si mes calculs sont bons, pour l’instant le produit est inactif puisque immergé dans un récipient de parfum. Premier test : je tire la chasse. Mes narines ouvertes, reniflant à tout va, ne signalent aucune odeur désagréable, puisse-t-on considérer le canard WC comme une senteur agréable.
Passer du temps aux cabinets le temps que mon genou se remette me donne parfois des idées tordues. Ingénieuses mais tordues. Je pars demain matin pour la France. J’ai masqué mon départ en journée de visite de l’université, prétextant mon entrée imminente dans celle-ci, et le prompt rétablissement de mon genou.