Fragment #53 - Cris humains et châtiment divin

C'est une ville médiévale où les maisons sont de pierre. Par-delà les toits on voit se dresser le donjon, en érection vers le ciel, et ses remparts encerclent la cité forteresse sous un ciel jauni. Je regarde les hommes qui marchent dans les rues. Je suis nu et mes pieds foulent les pavés blancs, mais personne n'y prête attention. Un lutin farceur sautille devant moi, de dalle en dalle, et je le suis sans trop savoir pourquoi. Ses cheveux bouclés sautent en rythme sur son front, sous son bonnet pointu. Il accélère sa course, et je suis obligé de courir pour ne pas le perdre de vue. Au détour d'une rue, il disparaît comme une ombre. Je suis seul. Plus un bruit. Alors dans le ciel éclate une grande clameur. Un trou déchire l'immensité, et de cette bouche béante se déverse un torrent de feu liquide. C'est le Seigneur en personne qui vient brûler la ville et ses habitants. J'entends des cris et de multiples hurlements. La peur incendie mon ventre et mon coeur. Je vois des corps dévorés par les flammes et le sel. Je me réveille en sursaut.

Et ma première pensée se tourne vers Robin, et je me souviens que ce n'est pas un cauchemar. Tout cela est bien réel, et je ne peux pas oublier. Robin est mort. L'accident me l'a bel et bien arraché. Je frotte mes paupières épuisées, car même le sommeil ne parvient pas à adoucir ma douleur.
Demain aura lieu l'enterrement, mais j'ai décidé de ne pas y aller. Je ne pourrai pas voir le cercueil dans la terre, je ne pourrai pas voir les visages fermés et les pleurs sur les masques des proches. Je ne pourrai pas les laisser recouvrir son corps dans l'oubli, sous nos pas, car alors il faudra lui dire adieu. Je ne veux pas lui dire adieu. Je ne veux pas que les choses soient irrémédiables. Impossible d'admettre qu'il n'y a plus d'espoir. Est-ce que je ne me mentais pas hier encore, en affirmant que j'avais réalisé, dès le début, que plus jamais je ne le reverrais ?
Maura vient me retrouver dans le couloir avec un chocolat chaud. Elle me dit qu'elle a vu Florian et qu'il ne va pas mieux. Je m'en fous. Qu'il crève. Qu'il crève pour ce qu'il a fait.
Jamais je ne pourrai lui pardonner.