Fragment #25 - Ces mots de mort

Morte. Laura est morte. Ces mots me trottent dans la tête depuis hier. Pourtant ma mère n’a pas prononcé ces mots. Elle a juste dit : « Laura est parmi nous pour Noël, elle rentre exprès.»
Je ne vois que ces mots. Me hantant. Et Lilian qui me parle de cancer. Je vois la mort, il me l’explique. Son père est atteint. Ma sœur est saine. Au cerveau. Et sauve. Tous se mélange. Les mots se mêlent ; les couleurs se joignent, les formes se distendent autour de moi. Tout part en vrille. Il me parle toujours de son père. Ca le touche beaucoup. Ça m’affecte également. Son père aussi c’est sûr. Mais si ma sœur…
Non ce n’est pas possible. Elle est là pour Noël. Elle va bien. Je vais bien. Ces mots de morts me hantent. Ils me cherchent. Vont me trouver.
Je me lève, cherche à m’enfuir. Lilian est là, il me regarde de ses yeux de merlan frit. Je me rassied. Il ne se passe rien. Rien qui vaille la peine de me lever, de courir, d’être fou. Je ne veux pas être fou dans ces conditions. Pas au détriment des autres. Je ne veux pas que ma Laura paye pour que je puisse accéder au stade suprême de folie.
Etre fou est une envie. Un idéal, mon idéal. Serais-ce aussi intéressant de l’être vraiment ? Un fou est exclu. Reclus. Pas de contacts, plus de contacts avec les autres, pas moyen de partager cet état suprême. Le bonheur est la folie. Je le sais . Ca fait longtemps que je le sais. Mon bonheur, ce pour quoi je vis, c’est ma future folie. J’espère être plus que sénile, être un vrai fou. Fou a lier. Quitter la cage dans laquelle chaque homme est traîné dès la naissance par la gente féminine. La quitter pour une nouvelle prison, celle de la liberté.
Je me meurs de mes mots. Il est désespéré, me regarde, me demande mon avis, mais ne se doute pas -j’en suis sûr- du drame qui se joue en moi, de ce feu qui me brûle. Un jour je lui confierai mon secret. Le secret du bonheur éternel. Je meurs alors que le bonheur m’attend, il est paradoxal de choisir entre les deux.