Fragment #344 - Et tout recommence

Par la fenêtre, je vois qu'il fait beau. Un beau ciel bleu de Janvier, pour une nouvelle année. Ma tête est lourde, comme sous l'emprise d'une gueule de bois exemplaire, et pourtant hier je n'ai pas bu une goutte d'alcool. Lilian m'a ramené à l'appartement après ma « crise » en me répétant je ne sais combien de fois qu'il fallait que je consulte un médecin, que ça durait déjà depuis trop longtemps. Merci petit frère, comment entamer en beauté l'année 2008 : « tu es cinglé, tu as besoin de voir un spécialiste ». Eh quoi, tu veux que je me fasse interner ?
Je me lève et me rends dans la cuisine, où Lilian a étalé ses cahiers de cours. Maintenant que les fêtes sont passées, il reprend courageusement ses révisions. Florian est aux fourneaux. Il a hérité de Maman d'un véritable don pour la cuisine. Il aurait dû être chef cuisto, s'il n'avait pas préféré la facilité en devenant informaticien dans la clinique de Papa. Finalement, comme Maman a été kinésithérapeute, je suis le seul de la famille à ne pas travailler dans la médecine.
Et je suis celui qui a besoin d'être soigné.
« Bonne année, je murmure, la bouche pâteuse. »
Aussitôt Lilian me lance un regard inquiet, pour scruter mes yeux et y déceler la moindre trace de folie, d'une éventuelle nouvelle « crise ».
« Oh ça va hein, je lui lance en baillant, ne recommence pas. »
Sa Majesté vient se frotter contre mes jambes et saute sur mes genoux pour s'y pelotonner. Mes caresses le font ronronner et ses yeux se ferment avec apaisement. J'ai l'impression de me vider de toute tension à son contact. Tel est le pouvoir de ce petit animal.
« Au fait, me jette Florian en désignant le paquet posé sur le plan de travail, il y a un colis pour toi. »
Je chasse Sa Majesté qui s'en va sur le canapé, courroucé, mais digne, et me lève pour récupérer le paquet. Mon sang se fige en découvrant le timbre. Il vient du Sénégal.
« Tu connais quelqu'un à Dakar ? continue Florian, toujours occupé par ses casseroles. »
Lilian relève la tête et me regarde. Il est allé à Paris cet été avec Alexandre pour enquêter sur le Briquet de ce dernier, il sait que l'objet vient de Nathan et que Nathan est parti à Dakar, pour une raison inconnue.
Mes doigts tremblants ouvrent le paquet, sans doute le même à peu de chose près que celui reçu par Lola il y a quelques mois. Il contient, précieusement emballé, un petit objet étrange. C'est un vieil encrier, petite bouteille en verre joliment ciselé, enchâssé de fils d'argents. La lumière du jour qui perce par la fenêtre vient iriser la chose d'un éclat indigo.
A l'intérieur, quelque chose produit un petit son lorsqu'on le secoue. J'ouvre l'Encrier et j'y trouve une clé. Sans aucune explication. Forcément, ça vient de Nathan, le jeu de piste continue. Ah, il y a un petit mot griffonné sur du papier à lettres. C'est bel et bien lui. Son style alambiqué, sa prose labyrinthique. Il me dit qu'il est en Afrique et que ça me sera utile, il me dit « joyeux anniversaire en retard » et « passe le bonjour à Laura ». Sans doute que c'est la clé de son appartement à Paris, mais pourquoi me l'envoie-t-il ? Pourquoi à moi ? Pourquoi maintenant ? Et pourquoi dans un encrier ?
Voilà que ça recommence. Nathan, l'éternel et incompréhensible personnage. Je soupire, plonge ma tête dans mes bras. Aussi, comment voulez vous que je ne devienne pas dingue, franchement ? Pas de quoi s'étonner que je fasse des « crises » comme celle de la veille, quand on voit quel genre de type j'ai croisé dans ma vie.
Lilian me regarde avec compassion et me tapote l'épaule. Florian ne comprend pas. C'est trop long à expliquer, grand frère. Et pas assez terre à terre pour toi.
Je voudrais briser les Reliques que propage Nathan depuis le début, les détruire pour mettre fin à cet interminable rêve, au Destin qui toujours recommence et jamais ne s'achève. Mais, ce n'est pas que je ne m'en sens pas capable. C'est juste que cet Encrier est vraiment très joli.