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 Fragment #9 - « Le monde se divise en deux catégories… »

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Déneb

Déneb



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MessageSujet: Fragment #9 - « Le monde se divise en deux catégories… »   Fragment #9 - « Le monde se divise en deux catégories… » Empty01.05.08 3:45

Dimanche 6 mai 2007
à Bantigny

Rien ne paraît avoir changé. Scène immuable, familiale, répétée cinquante-deux fois depuis vingt ans soit mille quarante fois de deux heures chacune en moyenne, soit deux mille quatre-vingt heures environ. Deux mille quatre-vingt heures identiques. Toujours la même chose : une table ronde en bois, trois générations de femmes autour d’une tarte au sucre et d’un thé noir aux épices, très fort le thé, acheté dans une petite boutique en face du beffroi à Douai. La grand-mère évoque sa semaine, ses petits tracas quotidiens et, en filigrane, sa solitude qu’elle n’avouera jamais. La mère, plongée dans un mutisme quasi-complet, absorbée par la lecture de son journal, ne rompt le silence que pour réclamer un peu plus de thé ou déclarer qu’il est l’heure de partir. La fille écoute vaguement sa grand-mère, sa « manou », et lui répond tout aussi évasivement. Faire croire à un semblant de cellule familiale, une fois par semaine. Et en fond sonore, surplombant le tout, la télé, ultime moyen pour tromper l’ennui de la grand-mère pendant les sept jours très longs qui séparent les visites. Dimanche, 14h, TF1, c’est Walker Texas Ranger, produit d’importation estampillé 100% US, où la justice gagne toujours, où le gentil est toujours le plus fort, même si le méchant fait deux fois sa taille et son poids, et où tout le monde se balade tranquillement, un chapeau de cow-boy sur la tête et un flingue à la ceinture. Walker et son pote noir (parce qu’il faut bien respecter les quotas sur les minorités dans les séries) terrassent les méchants comme d’autres promènent leur chien : Paf coup de poing « Y en a encore là haut !!! » Bim coup de pied en l’air qui tourne à s’en détacher la hanche bam boum « Aaaaaaahhh », emballé c’est pesé, le méchant est à terre, le bon triomphe, ouf l’honneur est sauf.
Pourtant, dans cette scène maintes et maintes fois répétées, la tarte, le thé, les femmes et Walker, un changement s’est opéré, imperceptiblement. Quelque chose comme un air de liberté, un infini de promesses. Comme si la fille allait prendre son envol, qu’elle n’était plus vraiment avec la grand-mère et la mère, mais déjà loin, vers autre chose. Oui, ça y est, c’est fini. Le concours est passé. Je l’ai planté (Franchement, je vous demande : « la ville produit elle des territoires de pauvreté ? » Autant demander si une vache fait des veaux). Mais peu importe, car une fois la semaine de révisions passée, puis celle du concours en lui-même, c’est un océan de possibilités qui s’est ouvert à moi. Des idées, des envies à la pelle, des jours de sommeil à rattraper et la permission de tout faire, sans contrainte, ni culpabilité, ni petite voix sournoise qui me tue à coup de « tu as une dissert de philo / une explication de texte sur ce foutu Ronsard / une khôlle d’histoire sur les flux dans l’océan Atlantique au XVIIIème siècle. » La voix s’est tue, il ne reste qu’un calme vide ouvert à tous les possibles. Après en avoir bavé deux ans au fond du trou « CPGE », il est bien temps de vivre. Et, affranchie de la prépa, je me sens également libérée de la gangue maternelle, comme s’il avait fallu l’un pour obtenir l’autre. Les affrontements entre nous deux se sont multipliés ces derniers temps, et lorsqu’elle sort de son mutisme pour m’assener des phrases sèches et dures, qui d’ordinaire me feraient plier, les vers noirs reprennent leur course folle à travers mes veines, se distillent jusque dans les plus infimes parties de mon corps et ils sortent, explosent à sa figure en une myriade de paroles froides. Je suis plus forte qu’elle, drapée dans ma « colère saine ». Elle ne répond plus, se tait et je savoure ma victoire. Une joute comme une autre, comme celle du bon Walker contre le méchant de tout à l’heure, ou comme celle de Ségolène contre Sarkozy, duel digne d’un western de Sergio Leone qui passionne la France depuis quinze jours. Et ce soir, l’un des deux va abattre l’autre à coup de millions de voix, bien plus cruelles et bien plus douloureuses qu’une simple balle dans la tête. Y a-t-il un bon, y a-t-il un méchant ? Peut-on réduire Nicolas à un rat ambitieux pro-Bush ne servant que son profit personnel ? Peut-on voir en Ségolène une madone pure et intouchable, égérie d’une France plus juste ? Non, bien sûr que non. Mais entre la peste et le choléra, j’ai fait mon choix. Ce sera celui du « moins pire ». Car ce soir, si Sarkozy passe, peut-être finirons nous aussi par porter des chapeaux de cow-boy et des flingues à la ceinture.
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