Fragment #54 - Le monde est fou

La vie est injuste. Je voudrais tellement que ce jour soit un jour comme les autres. Aller au Dionysos comme chaque matin et me plaindre intérieurement de la routine. Voir débarquer Mathieu et les clients habituels. Que rien ne change.
Et pourtant, ce matin, on enterre un jeune homme que je connaissais bien. Il s'appelait Robin Guitry, et c'était le petit ami de Lilian Mahogany. Et ça, à part moi et quelques autres, personne le sait, parmi tous les gens venus à l'enterrement. Samedi soir, ils ont eu un accident. Un terrible accident en plein centre-ville. On en a parlé dimanche au Dionysos, sans savoir qui il y avait dans la voiture. Florian, Julian, Lola, et Robin. Ils allaient à l'anniversaire du petit Lilian. Chouette cadeau pour ses vingt ans, madame la Mort, vraiment très touchant. Venir lui arracher ce qu'il avait de plus précieux le jour où il devient un homme. On voit que vous êtes sensible, hein.
Encore, quand vous êtes venue pour prendre Maman, je pouvais comprendre. Elle était très âgée, c'est dans l'ordre des choses. Mais voler un enfant à ses parents, ça, vraiment, c'est injuste, c'est intolérable. Je pense à Maura, et je m'approche d'elle. Elle me regarde, incapable de fuir, incapable de me détester. Pas aujourd'hui. Alors je prends sa main, et je lui dis ainsi combien je serais malheureux si je la perdais. Je voudrais que nous nous connaissions, ma chérie, je voudrais que tu saches un peu mieux qui est ton vieux con de père. En fin de semaine, mon demi-frère Jules Collomb va débarquer à Dijon. Je veux te le présenter. Est-ce que tu seras là ? Est-ce que tu seras là pour moi ?
Maura retient un cri. Lilian vient de s'effondrer. Je cours pour le relever avec Julian. Pauvre gosse, j'en ai le coeur qui tremble. Il ne pleure pas, il a l'air comme mort. Allez, petit, il faut continuer à vivre, il faut tenir bon. Même si tout se casse la gueule autour de toi, tes amis seront toujours là. Tu seras au Dionysos comme chez toi.
Adieu, Robin Guitry. Tu quittes un monde de fous.
Mais les fous ne t'oublieront pas.