Altaïr
| Sujet: Fragment #81 - Le Serpent du Temps 09.04.08 20:21 | |
| Mercredi 13 septembre 2006 à Dijon Rien. Je ne fais rien. Je passe mes journées à errer, à somnoler, allongé sur mon lit ou déambulant dans les rues de Dijon. Mais je ne fais rien. Qu’est-ce que ça veut dire, ne rien faire ? Est-ce que, quand je vais en cours, je fais quelque chose ? Quelle est la différence entre l’activité qui nous donne l’impression de bien occuper notre Temps, et celle qui nous confère cette terrible sensation que nous le perdons, inexorablement ? Voilà encore un sortilège du plus grand de tous les Vertiges. Et si au fond le Temps ne cherchait qu’à s’écouler, sans se soucier de nous ? Que nous le remplissions ou non, peu lui importe, finalement. Mais nous, humains, nous sommes angoissés devant lui, nous ne voulons pas qu’il nous échappe, car à mesure qu’il s’écoule, il emporte des lambeaux arrachés de nous. Et ce que le Temps emporte, il le garde sans jamais le rendre. Alors nous le remplissons, nous le chargeons autant que possible, empilons un poids sur lui pour l’écraser et ainsi peut-être le ralentir, cet anaconda sans fin. Pourquoi je n’y arrive pas ? Le Serpent du Temps s’écoule et je demeure immobile. Il s’enroule autour de moi et resserre son étreinte, il va m’étouffer. Et j’ai beau faire le ménage dans mon temple du sommeil, me laver, m’habiller, le reptile connaît mes ruses et mes rituels, car je les ai accomplis des centaines, des milliers de fois. Il se resserre encore. A quoi bon refaire toujours ces mêmes gestes ? Le venin du Serpent, c’est le Quotidien, cette infâme routine amère et visqueuse qui nous englue dans l’habitude et la répétition. Se réveiller, sortir le carnet à rêves, oublier ses rêves, se lever, manger, se laver, s’habiller, chercher à s’occuper, toujours… Les jours qui se succèdent à ne plus en finir, identiques les uns aux autres. L’époque où chacun me semblait avoir une saveur propre, une résonance particulière, est-elle révolue ? Je sens que le venin endort mon esprit. Se réveiller, sortir le carnet à rêves, oublier ses rêves… Je m’englue. Est-ce un Serpent ? Ou bien une Araignée ? Un monstre à huit pattes tissant sa toile, un piège pour de pauvres papillons de nuit tels que moi. Je repense à une dissertation : Sommes-nous les prisonniers du temps ? Pourquoi n’était-ce pas qu’un simple sujet ? Pourquoi suis-je si misérable face au plus grand de tous les Vertiges ? Je me demande comment font les autres pour vivre ainsi, empoisonnés, piqués par le Serpent du Temps. Mais ces questions qui croupissent dans mon cerveau, je ne peux (veux) pas y répondre, pas encore, pas maintenant. Aérer, je dois aérer tout ça. Ne pas m’embourber. Vivre sans me poser de question. Je descends les escaliers, me voilà place Grangier, dans la rue. Il fait beau. Je ne sais pas où aller, mais mes pieds se mettent d’eux mêmes en marche. Allons perdre notre Temps. | |
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