Fragment #96 – Mortel anniversaire

16h17. Je regarde Melissa dans les yeux après cette vibration. Et détachant mes lèvres des siennes je fouille dans ma poche. C'est Lilian qui m'envoie un message. Robin se joint à moi pour te souhaiter un joyeux anniversaire ; que l'année de tes 19 ans soit douce et sereine ! A ce soir pour la ptite fête. Je montre le message à ma sauterelle qui me regarde alors en souriant. « Il est gentil Lilian. Je comprends que ce soit ton meilleur ami. » Mes yeux la remercient encore, puis se posent sur la gourmette qu'elle vient à l'instant de m'offrir. Nous sommes assis sur un banc dans le jardin public. Il fait lourd. Il n'y a pas un bruit. Je me sens léger. Soudain ce bruit à ma ceinture. Biiiiiiiiiiiiiip. Je la regarde. J'essaie de réfléchir rapidement mais le stress me scotch au banc. Elle comprend, me serre la main, m'embrasse rapidement et me dit « Vas-y. » Alors je me lève, sors du parc en courant, traversant les pelouses à pleines foulées, et arrive à la caserne par la rue de derrière.
Toni et Gérald sont déjà là. Je suis essoufflé, et dans mes oreilles bourdonne l'activité du garage. Entre le fax qui sonne, la porte qui s'ouvre, et le véhicule qui démarre, je n'entends même plus taper mon cœur dans ma poitrine ; cœur qui pourtant s'efforce de battre à tout rompre. Je me change, mes sens sont en éveil.
Toni est au volant. Je claque la porte arrière du véhicule. Nous partons tous les trois.
« On part pour une T.S. rue du château d'eau. »
Ce n'est pas loin, j'ai à peine le temps d'enfiler des gants en latex, que le VSAB s'arrête devant chez mes voisins. Je descends avec le sac sur le dos. Hein ! Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi Gérald rentre-t’il chez moi ? Réflexion faisant, je le suis sans broncher ; et je suis déjà horrifié au moment où je me rends réellement compte qu'il y a un problème chez moi. Dans ma famille. Il s'est pendu au radiateur.
« Papaaaaaaaa » Je me jette sur lui et défais le lien qui lui étreint la gorge. J'entends derrière moi ma mère dans de bruyants sanglots. Soudain je réalise. Soudain je panique. Que faire ? Comment faire ? Mon père est étendu sans vie sur le sol froid du salon. Face à la télévision, face à cette image souriante d'une Laura enfant. Tout se passe très vite, je voudrais faire quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Il faut qu'il vive. Je pleure sans m'en rendre compte. Papa. Gérald m'envoie soutenir ma mère. Oui je vais faire ça. Elle a besoin de moi. Oui, et pendant ce temps là, ils entament une réanimation cardio-pulmonaire. Je prends ma mère dans mes bras, mes larmes chaudes se joignent aux siennes. Elle est assise, recroquevillée, serrant ses genoux dans ses bras. Je cache à ses yeux autant qu'aux miens, l'horreur qui s'impose à nos oreilles. On ne voit plus les boîtes de somnifères jonchant le sol. Toutes vides. On ne voit plus la trace rouge de la corde s'incrustant sous sa glotte. Les blouses blanches du SAMU font irruption dans la pièce. Au bout de quelques instants le médecin dit que ce n'est plus la peine de continuer à masser. Non. Non, ils ne peuvent pas s'arrêter. Gérald, dis leur que tu veux continuer, dis leur que c'est mon père. Non, ne vous relevez pas. Non. Je m'effondre, et rejoins dans des spasmes les sanglots bruyants de ma mère. Je pousse un cri de désespoir. Un cri de détresse. Papaaaaaaaa. À ce moment précis, entrent dans la pièce trois gendarmes, d'uniformes vêtus. Ils posent quelques questions aux secouristes, qui commençaient à enfermer dans un de ces sacs blancs, celui qui est mon père. Celui qui était mon père. Non, il ne peut pas être mort. Puis, ils s'approchent de moi. Le plus gros, avec son papier et son stylo, me demande si c'est bien moi qui l'ai détaché. Je fais signe que oui. Alors s'abat sur moi une pluie de questions insensées : De quel côté du cou était le nœud ? Où exactement étaient les boîtes de somnifères ? Quel type de nœud était-ce ? Les boîtes étaient-elles déjà vides lorsque l'on est arrivé ? Pourriez-vous nous dire si le nœud était serré, très serré, peu serré, pas serré ? Combien de tours faisait la corde ? Je bafouille quelques mots. Je m'en fous de leurs questions à la con. Je me lève, et sors de chez moi en courant. En pleurant. Fou de rage. Dans la cour je percute Melissa. « Je me suis dit que j'allais t'attendre chez toi, mais apparemment tu es déjà là. Mais, ... Qu'est ce qui t'arrive, tu pleures ? » La seule chose que j'arrive à dire c'est : Il est mort.
Mort.