Fragment #1 – Juste quelques images

« Il manque presque rien, juste quelques images. Tu peux essayer ? »
Javier rallonge la durée du plan. Voilà, comme ça c'est parfait. Louis a l'air méchant à souhait dans cette scène, c'est dingue.
« Pense à sauvegarder, Javier.
- Oui chef, t'inquiète pas, le logiciel sauvegarde de lui-même toute les minutes.
- On touche au but là, je voudrais pas qu'on perde tout à cause d'une connerie d'informatique.
- Laura, ton film est super, les gens vont l'adorer samedi soir, ne stresse pas.
- Pour ça il faudrait déjà qu'on l'ait fini.
- On l'aura fini samedi, t'inquiète pas.
- Arrête de me dire de pas m'inquiéter, ça me donne encore plus envie de stresser. »
Mon portable vibre dans mon pantalon. C'est Simon qui m'envoie un sms. Il me dit que je lui manque et veut savoir à quelle heure je compte rentrer. Je lui réponds que je passerai sûrement toute la nuit à bosser avec Javier et que je ne rentrerai que demain matin. Il me renvoie un autre message pour me dire qu'il m'embrasse. Je range mon téléphone dans ma poche.
Javier se roule une cigarette. On va faire une petite pause.
« Alors, le montage te plait ? Ca rend comme tu voulais ?
- Oui, le montage est très bien, je réponds.
- C'est ce que tu imaginais ?
- Pas vraiment. Ca fait très... tu sais. Amateur.
- Normal, c'est un film amateur Laura. Faut resituer dans le contexte.
- Je sais.
- Moi je trouve ça bien.
- Oui, c'est bien. C'est pas mal. »
Je ne sais pas. Je m'attendais à autre chose. C'est idiot, oui, mais dans ma tête, les scènes avaient plus de profondeur, plus d'intensité. Là, ça sent vraiment le bidouillage de jeunes qui se prennent pour des cinéastes. Mais peu importe. Dans quelques jours, je serai étudiante à la FEMIS, l'école de cinéma la plus prestigieuse de France, et une des plus reconnues du monde. Quand j'en sortirai, je serai réalisatrice. Je travaillerai avec les plus grands, je forgerai mon expérience, je me ferai un nom. Et ensuite, je pourrai mettre en image toutes ces choses qui vivent en moi, tout ce bouillon de vie et d'idées. Je suis impatiente.
Javier nous apporte des sandwichs et du café. Il va falloir rester éveillés et concentrés toute la nuit. Mon téléphone sonne. C'est Alex, mon petit frère. Il me dit qu'il vient de rentrer d'Espagne, qu'il était parti à Barcelone pour ramener Julian. Bon sang, qu'est-ce que Julian foutait à Barcelone ? Une longue histoire, ok. Tu me raconteras ça plus tard petit frère. Tu es fatigué, je comprends. Embrasse bien maman de ma part. Bonne nuit.
Julian à Barcelone ? Il file un mauvais coton, celui-là. Disparaître comme ça, sans donner de nouvelles, se barrer en Espagne et attendre que l'on vienne le chercher. Qu'est-ce qui peut bien lui passer par la tête ? Des fois, j'aimerais être Julian pour savoir ce que ça fait. J'aimerais être d'autres gens pour ne pas toujours être moi.
Passe moi une clope, Javier. Il faut que je fume.