Fragment #5 – La chance ne cesse de me sourire

Ca, ça n'était pas prévu. Pas prévu du tout. Et cet imprévu s'appelle Patrick Le Forestier, il a la quarantaine, il travaille pour une chaîne privée de la télévision et il va monter une série détonante. Il était à la projection hier soir, et il dit qu'il souhaite travailler avec moi, car je lui ai tapé dans l'oeil. Quoi ? Je vais travailler pour la télé, avant même de faire ma rentrée à la FEMIS ? Je suis vraiment chanceuse... A moins que ce ne soit du talent, un talent que j'ignore moi-même mais que les autres savent reconnaître en moi. Je suis flattée. Je suis fière.
Je vais étudier le cinéma dans une école très prestigieuse et travailler pour une série à la télévision. On m'apprendra à assister la réalisation, et ensuite, qui sait ce qui peut arriver. Patrick est le genre d'homme qui sourit franchement. Quand il me regarde, j'en suis presque gênée. Il me dit que je suis vraiment faite pour le cinéma, que j'ai trouvé ma voie, que ça se voit. Mon court-métrage est une « petite merveille », a-t-il dit. Je n'irais pas jusque là, mais c'est vrai que tout le monde a eu l'air d'aimer (moi exceptée).
Évidemment, je n'en parle pas à Simon, ça ferait tout de suite un scandale. Ce soir, nous sommes invités à manger chez Juliette, sa nouvelle meilleure amie, une nénette un peu ronde qui parle tout le temps de sexe. Je n'ai pas très envie, mais comme nous sommes un couple, c'est le genre de trucs que je me résigne à faire une fois tous les deux mois. Juliette vivait en collocation avec une amie à elle jusqu'à récemment. Son amie ayant quitté Paris, elle l'a remplacé par une ancienne connaissance à elle, un type qui se prénomme Sergueï, qui est franco-russe et qui est rentré en France après un an passé à Saint-Petersbourg. Il est grand, filiforme, blanchâtre avec des cheveux très noirs et gras. Il parle fort, il n'arrête pas de faire des remarques sur mes seins, et j'ai très vite envie de lui en coller une.
Je prétexte un accès de fatigue pour rentrer avant Simon, et peu m'importe qu'on me qualifie de sauvage. Après tout, nous habitons à deux rues de là.