Altaïr
| Sujet: Fragment #131 - Dans le bus 10.04.08 18:45 | |
| Mercredi 8 novembre 2006 à Dijon Liane 5 direction Campus. Evidemment il n’y a pas de place, tu as pris ton livre pour rien Julian, en espérant pouvoir bouquiner pendant le trajet. Que croyais-tu ? Ce bus est toujours bondé de toute façon. Nous sommes tous collés les uns aux autres, englués dans la masse des chairs, séparés par nos seules frontières de tissus poisseuses de transpirations et rougies par le froid. Ils me dégoûtent. Je ne suis pas comme eux tellement semblable à eux et je ne veux pas les toucher touchez-moi par pitié regardez-moi je veux vivre dans vos yeux car je suis un dieu et non pas un homme comme eux je suis si méprisable voilà que je recommence avec ces conneries. Je me dégoûte. Ils parlent. Ils sont là, tout autour de moi, avec leurs mots, ils bruissent, ils murmurent, ils rient, ils crient. Je ne peux pas ne pas les entendre. Je ne peux pas ne pas les comprendre. Les mots se fixent en moi et s’y reconnaissent chez eux, s’y installent et déplient le sens qui vit en eux, qui ne vit pas sans eux. Le grand pique-nique des mots dans ma tête. « Cynthia vient me voir l’autre jour, et elle me regarde, et elle me dit : « T’as vu mes chaussures comme elles sont plus classes que les tiennes ? » Elle est vraiment superficielle cette conne ! - Ca va ouais. » Les deux filles aux cheveux blondis artificiellement ressemblent à des caricatures. Il y a celle qui parle, jolie, maquillée à outrance, bien faite, et son amie grosse, réservée et mal dans sa peau, qui ponctue d’un « ça va ouais » chacune des phrases de son « amie ». Mais après tout, elles se disent contre la superficialité, peut-être ne sont-elles pas si idiotes qu’elles en ont l’air… « Alors moi, tu vois, je suis pas conne hein, le lendemain je me suis ramenée avec mes plus belles shoes et j’ai été la voir et je lui ai fait : « Ah bah t’en as pas des comme ça hein ! » Et ça l’a trop cassée ! - Ca va ouais ! » Bon, de toute évidence, si. Mon corps est en mouvement. Mon corps est l’ancre référentielle de mon Moi dans le monde réel. Il est toujours avec moi. Je suis là, je suis ici. En mon corps, toujours. Oh mon Cœur, pourquoi nous as-tu trahi ? Deux autres étudiants discutent non loin de moi. « Je me suis inscrite pour une Ecole à Paris pour l’an prochain, il fallait s’y prendre tôt. - Tu sais que Stéphane est parti pour Pékin ? - Tu déconnes ? - Je te jure, il fait ses études là-bas maintenant. » Je regarde ma vie, mes études, ce trajet en bus. Je voudrais descendre de ce navire infernal, interrompre son parcours quotidien. La caméra me suivrait, lentement, les spectateurs de ma vie comprendraient que le personnage central du feuilleton a décidé de prendre son existence en main, de tout changer. Ils se diraient : « Ah ! Enfin ! Il l’a fait ! » Mais il n’y a personne pour regarder ma vie. Personne pour voir qui je suis réellement. Je suis enfermé en moi-même. Et tout le monde s’en fout. Le bus s’arrête, je descends parmi la cohue, dans la foule des étudiants, le flot des êtres anonymes. Je me sens seul, je me sens mal. Seul au milieu des autres. Et tout le monde s’en fout. Vibration contre ma cuisse. C’est un texto de Lola. « On se voit demain soir, mon beau dieu ? » | |
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