Aldébaran
| Sujet: Fragment #126 - Dans les reflets 07.01.09 19:35 | |
| Mercredi 30 mai 2007 à Dijon La vitre renvoie mon image. Ce n’est pas moi pourtant que je regarde. Je regarde le reflet de beaux garçons. Leurs yeux, leurs mains, leurs bouches. Je m’imagine collés à leurs corps maigres, à leurs T-shirts moulants, serré contre leur jeans déchirés. Pourquoi les gens ne voient jamais qu’on les observe dans les reflets ? En direct, ils arrêteraient notre regard, plongeraient droit dans nos yeux. De quoi me faire rougir et détourner le regard. Je n’ai aucune volonté de ce côté-là, je suis timide. Un brun décoiffé/méché me surprend à se retourner vers moi. Il ne me parle pas. Il me regarde juste, directement ; droit dans les yeux. Je rougis. Je me lève. C’est mon arrêt. Je descends. Me voilà face à la maison. Ariane m’a dit que Père n’y serait pas. Espérons qu’elle a raison. J’avance dans l’allée de gravillons. Je pose ma main sur la poignée, l’abaisse lentement. Résistance du bois. C’est fermé. Je sors ma clé de la poche. Je fais deux tours. J’entre. Dans ma chambre. Je prends la boîte. Mes mains sur son froid couvercle. La fourche dessinée sur le bois. Dessin imprimé dans mon cerveau. Je l’ouvre. Au fond, le papier d’Alex. Ne pas céder à la tentation. Pas tout de suite. Attendre le calme. Je prends un sac et quelques affaires. De quoi survivre quelques semaines dans la jungle d’une grande ville anglaise. Avec ce qui m’attend chez Lilian, j’ai tout ce qu’il me faut. On Saturday, I’ll be in London. Granny told me today on the phone. She had just sent me the tickets at Ariane’s. I’ll receive them on Friday. Je descends les escaliers. Prend quelque chose dans le frigo. Me pose à la table de la cuisine. Assis, une lettre attire mon attention. Adressée à Père. Tribunal du var. L’enveloppe est déjà ouverte. Je sors une lettre. Demande de comparution immédiate. Pour la semaine prochaine. Rien n’est indiqué d’autre. Un procès, Père, pourquoi ? Je me prends à penser à avant. His ember-eyes glazing in the darkness. The stretching of my skin. Tears drying on my face. Is it a way to love one’s child? Je n’aurais jamais eu le courage de ça. Mais qu’est-ce alors ? Qui pourrait bien lui en vouloir ? A part moi, qui apprend à pardonner ? Do I forgive him ? Can I only ? Je relève la tête. Tout ce temps, Maman me regardait. Ses yeux sont rouges. Elle a pleuré. Son foulard cache les traces de sa dernière chimio. Ariane m’a dit qu’elle en avait une dans quinze jours encore. Je la regarde dans les yeux. « Maman… Je pars pour Londres samedi. J’ai… j’ai besoin de… de voir du nouveau, enfin… je ne sais pas… mais je dois y aller. » La lettre de Père s’échappe de mes mains, flotte un instant, s’échoue sur la table. Je prends la boîte que je serre contre mon cœur, mon sac, et fuis la maison aussi vite que je peux. Je sens le regard de Maman, qui me suit, du perron sur lequel elle se tient un peu courbée. Regardant son fils lui échapper. Le fruit de tes entrailles est béni.
Le papier se déplie entre mes doigts. Lilian est dans mon dos. La douceur du contact. Son souffle dans mon cou. La nervure du papier. Cher Jed, « Excuse-moi, Lilian, j’ai besoin d’être un peu seul. » Il me comprend. Il se retire. Je peux lire. Je dois partir. Retrouver le continent de nos parents, retrouver mamie et papi. Une nouvelle ville, une nouvelle école, de nouveaux amis. Bientôt je te serrerai dans mes bras. Bientôt je tenterai de te montrer à quel point tu comptes pour moi. Ta peau contre la mienne. Nos corps en sueur. L’amertume de ta langue. Moi en toi, Lilian. « Est-ce que Julian nous entend ? (j’espère que oui) » Bam, bam, bam. Ton corps sous le ruissellement de l’eau. Je serai toujours disponible. Comme dans notre enfance, sous les draps, nous parlerons de la vie, de tout et de rien. Comme dans notre enfance, nos trois corps réunis scelleront notre Famille. Comme dans notre enfance, le pacte de cire collera nos lèvres. Tes lèvres contre les miennes. Ta bouche dedans ma bouche. Nos poumons ne font qu’un. Un seul être respire. Un seul être plein et vide. Un seul être dedans-dehors. Un seul être qui se complète lui-même. Crispation. Le vide-instant de l’orgasme-caresse. Silence. Ce sera notre mot. Le silence des caresses. Le silence de la vie qui nous porte. Le silence des traumatismes. Le silence devant ce mot que j’aimerais tant prononcer. « Je t’aime », ces mots sortent de ta bouche et tu attends ma réponse. Mais ma bouche grande ouverte exhale ma respiration ; mes lèvres se forment sur un silence-cri. Tu attends mon amour en retour. Mais crois-tu seulement que je sais aimer ? Et si j’aime, qui aimé-je ? Articulation inaudible. Tu n’attends plus. Ça viendra, tu te dis. Les cierges rouges souderont notre Pacte. Rejoinds-moi. Appelle-moi. Compose ces chiffres, je serai au bout du fil. – J’aperçois alors le code secret d’Ariane. Comment savait-elle ? A-t-elle lu le papier ? Elle savait. – Ne change pas, je t’en prie. Reste celui qui regarde la lune. Elle nous réunira. Je m’assois sur le lit. Lilian s’endort un peu. Ma main lui caresse le dos. Mes lèvres parcourent son échine. Je me relève. Vais à la fenêtre. Dehors, la lune brille, presque ronde. Séléné, comment n’ai-je pas remarqué ? Ces trois mots. Sujet, destinataire, verbe. Ce sont les tiens. Je te les offre simplement. Alexander. Ma belle rousse. Pierre brillante de Sélène. D’ici samedi, tu seras pleine. | |
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