Fragment #15 - Transports trop communs

Je presse le pas en direction de l'arrêt de bus. Le soleil levant parvient à peine à traverser l'épaisse couche de nuages qui surplombe la ville et y déverse une pluie vivace des plus incommodantes. Armée de mon parapluie, je défie les gouttes et serpente entre les flaques d'eau. J'aime la pluie. Mais là franchement, c'est pas le jour. Non seulement je suis sûre d'être interrogée au tableau en chimie, mais en plus je risque d'arriver en retard à cause de cette foutue grève des bus. Je déteste les grèves... Il n'y a rien de tel pour me mettre de mauvaise humeur.
A cent mètres de l'arrêt, un gros bruit de moteur me sort brusquement de mes pensées. Merde ! Le bus ! Ca sera probablement le seul avant un bout de temps. Il ne faut pas que je le loupe !
Je rassemble alors toutes mes forces et me mets à courir. Les gouttes de pluies viennent s'écraser sur mon visage, troublant quelque peu mon champ de vision. Mais ce petit désagrément n'est rien comparé à l'effort que je dois faire pour ne pas perdre mon parapluie que je traîne derrière moi comme un cerf-volant.
Les portes du bus, à deux mètres devant moi, commencent à se refermer. Je me jette alors de toute ma masse sur le bouton d'ouverture afin d'interrompre le processus, qui inévitablement m'aurait conduit à devoir supporter les remarques de mon cher prof de chimie quant à mon retard à son indispensable séance de TD.
Les portent s'ouvrent à nouveau, et j'entre, hors d'haleine. Etant munie de ma carte d'abonnée, je passe devant l'oblitérateur sans en faire usage et me laisse tomber sur l'une des places seules, a l'avant. Le bus démarre et je cale ma tête contre la vitre embuée, avant de lâcher un soupir. C'était juste.
Quelques arrêts plus loin, une femme d'une cinquantaine d'années monte dans le bus. Après avoir soigneusement oblitéré son ticket, elle vient se mettre debout à côté de moi. Elle me regarde d'un air insistant, un poil agacé. Mais il est hors de question que je lui laisse ma place, d'autant que le bus est presque vide. Elle est en pleine forme cette dame, elle peut bien faire trois mètres.
Voyant que je ne réagis pas, elle se décide enfin à chercher une autre place, après m'avoir jeté un regard scandalisé.
Je regarde le bus se remplir peu à peu. Bientôt, le véhicule est plein à craquer. Je regarde tous ces gens entassés, les uns sur les autres, avec leur air blasé et déprimé, tels des porcs qu'on emmène à l'abattoir. J'y vais aussi.