Fragment #162 - Il y a du beau en ce monde

Dans trois jours, j’ai vingt ans.
Dans cinq jours, c’est Noël.
Dans douze jours, une nouvelle année qui commence.

Je ne me suis pas levé ce matin. Lola a insisté pour aller à la fac, mais j’ai réussi à la retenir au lit avec moi.
« Mes parents vont gueuler Julian, je suis pas rentrée à la maison depuis samedi et si en plus je vais pas en cours… »
Ma bouche se plie pour implorer sa pitié en une moue de chiot chagriné. Un sourire s’étale sur les lèvres de ma belle, qui plonge entre mes bras grands ouverts. Comme c’est bon d’être ici avec elle, au chaud dans notre cocon de bonheur, alors qu’il fait si froid dehors ! Je serre Lola contre mon torse et nous retombons sur le matelas moelleux.

Mathieu a du mal à entretenir seul l’appartement que lui ont laissé Nalvenn et Sébastien, mais pour un jeune gars de dix-huit ans qui a fugué depuis le Japon pour se retrouver paumé dans sa ville natale, sans le sous, revenir chez son ex petite amie de lycée pour quémander un toit et devenir ensuite livreur de pizzas après une longue phase ANPE, il se débrouille plutôt bien et je me dois de le féliciter. Bon, il y a certes cette odeur forte de macération qui vous prend au nez en entrant, mais elle se dissipe rapidement une fois qu’on s’y est habitué. Je le regarde arpenter l’appartement envahi par les plantes qui croissent de manière désordonnée dans chaque pièce, avec son pull fin qui moule son torse bien fait et ses épaules larges, son corps petit et trapu. Ses yeux bleu atlantique et ses cheveux noirs. Son visage de guerrier au menton volontaire. Il a l’air un peu perdu, mais content de voir quelqu’un. Il va et vient à la recherche de quelque chose à boire. J’ai mis du temps à comprendre le fonctionnement du stratagème dont il a fait usage pour s’enfuir du Japon, une sorte de mécanisme odorant dans les toilettes de sa maison. Peut être son explication n’était elle pas des plus claires. Mathieu est étrange. Quand je le regardais au lycée au bras de ma meilleure amie dans les couloirs, je ne voyais en lui qu’un type qui aimait le sport et les filles, sans chercher plus loin. Finalement, c’est moi qui ne cherchait pas assez loin. Mathieu est un garçon intelligent. Il y a un monde derrière ce regard outremer. Un monde derrière chaque regard.

Le ciel est bleu et rose pâle. Une aurore pastelle. Regarde Julian. Regarde TON monde. Force toi à le contempler et à le trouver beau. Car ce monde est beau, Julian, que tu le veuilles ou non, il y a du beau dans ce ciel, il y a du beau dans les yeux de Mathieu, il y a du beau dans ta capacité à évaluer du beau des choses.
Est-ce que je suis un dieu ?