Fragment #75 - Terre à terre

Encore une journée ensoleillée. Ce temps est une bénédiction : les gens sont plus aimables, plus souriants ; ils sortent d’un long sommeil. Assis devant mon ordinateur, je termine un mail destiné à mon banquier. Je lui demande de préparer l’argent pour l’achat de l’appartement, de me faire parvenir les papiers à signer ainsi qu’une évaluation de mes rentes une fois cet argent prélevé de mon capital. Avoir autant d’argent me terrifie un peu. C’est pour ça que je ne gère rien, que je ne me tiens au courant de rien. Tant que mon compte courant est correctement alimenté, je ne me mêle de rien.
Je ne sais pas quel rapport Babeth entretient vis-à-vis de cette fortune. Je crois qu’elle ne s’en préoccupe pas non plus. Elle a essayé de m’en parler une fois. J’ai coupé court à la conversation lorsque j’ai appris l’origine d’une partie de cet argent.
L’appartement sera mien à la fin du mois et c’est la seule chose qui compte. Je veux quitter Babeth pour pouvoir mener ma vie sans me sentir épié, observé, jugé. Nos rapports sont tendus depuis quelques temps. Depuis qu’elle sait que je revois Nicolas.
Elle n’arrête pas de me dire que c’est une honte de ne pas travailler, que je suis un fainéant, que je mène une vie inutile, une vie de parasite capitaliste. Elle passe son temps à me demander ce que je fais, pour ensuite prendre un air désapprobateur et méprisant. Mais je mène ma vie comme je le souhaite, comme je l’entends.

Je t’emmerde soeurette.

Je sais qu’elle m’imagine en permanence fourré avec Nicolas, à boire et à draguer. Son image de la vie gay est assez limitée et je ne peux pas lui en vouloir. Le milieu homosexuel, le ghetto gay devrais-je dire est vraiment superficiel même si les individus, pris un à un, peuvent être réellement intéressants.
Elle est partie depuis le début de la matinée et ne rentrera que tard dans la soirée. J’ai prévu mon après-midi en fonction de son emploi du temps et mon plan cul ne devrait pas tarder. J’avais oublié la facilité avec laquelle on peut s’organiser des après-midi sexuelles à Paris. La province est beaucoup plus compliquée : les distances et les trajets en voiture en découragent plus d’un.

Un petit clic et mon mail est parti. Bientôt l’agence recevra une confirmation de la banque affirmant que je dispose des fonds nécessaires à l’achat de l’appartement. Ne me reste plus qu’à contacter Maya pour commencer à choisir les meubles sur son catalogue. Mais mes préoccupations immédiates sont beaucoup plus terre à terre.