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 Fragment #5 - Génération Nutella

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Shedar

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MessageSujet: Fragment #5 - Génération Nutella   Fragment #5 - Génération Nutella Empty11.04.08 12:07

Vendredi 15 décembre 2006
à Dijon

Six heures cinquante-neuf... Trois. Deux. Un. Sept heures. En fait non. Encore un peu. Je m’empresse d’étendre mon bras pour attraper l’objet de ma chambre qui se réveille avec le plus d’enthousiasme, toujours, et aspire entre mes mains son artère électrique avec autant d’énergie que si je grimpais à la corde, dans mon lit. Débranché. J’impose aux autres membres du décor une minute de silence polaire, en hommage à notre ami. On emploie souvent des mots vides dans ce genre de situation... Ami... Ca sent déjà le moisi, la journée dure à digérer, même à travers ma couette. En plus je sais que dehors tout est froid. Les médias parlent de l’hiver le plus chaud de la décennie. Faudra leur dire que, selon le calendrier chrétien de notre pays laïque, c’est encore l’automne qui écrit la météo... Là, je voudrais voir les deux disciples de poche et leurs auréole et trident, chacun en lévitation entre une oreille et sa mèche de cheveux conjuguée. Ils me souffleraient des questions. Les questions que je devrait peut-être me poser. Peut-être. Quoique. Là, je crois qu’ils me demanderaient pourquoi je vais au lycée cinq jours sur sept. Pourquoi je passe tant de temps emprisonné sur une chaise, à m’ennuyer, ou noyé dans la masse qui parcourt les couloirs de la scolarité, de cellules de classe en cellules de classe, en traînant les pieds... D’ailleurs, pourquoi ? Trou de mémoire. Ca se rebouche un trou, normalement. Faudra que j’y pense. Une autre fois. C’est parti.
Chaussettes. Toilettes, bolinette. Salle de bain, shampoing. Cuisine, tartine. Tartine, preuve irréfutable que je ne suis pas si différent. Génération Nutella. Je me brosse les dents à mach six en fixant ma montre. Pourtant j’ai déjà épuisé les seize billets de retard du carnet qui m’a été délivré à la rentrée. Ils ont l’habitude. Les fringues les plus proches. Deux livres quelconques, égarés aux alentours de ce que jadis j’appelais « bureau » et qui aujourd’hui dormiront dans mon sac. J’aurais la surprise à huit heures. Ou plutôt huit heures quinze. Au moins. Je cours bizarrement pendant les premiers mètres pour enfoncer mes pieds au fond de ces chaussures que je n’ai pas délacées depuis suffisamment longtemps pour que je ne me rappelle même plus les avoir lacées. Je claque la porte, dévale les escaliers sans trembler, sors de l’immeuble. Puis, quelque chose m’arrête. Quelque chose était différent ce matin. Je cours tous les jours, je fais tous les jours les mêmes pas. Je connais par cœur et au centimètre carré près le trajet le plus court. Je me retourne, marche lentement en balayant le sol, jusqu’à l’immeuble. Jusqu’aux escaliers. Devant la porte de l’appartement, sur le sol, un objet attend. C’est cet objet qui m’a fait prendre ce détour déstabilisant. Car je ne l’aurais pas écrasé, puisque cet objet, c’est mon Nikon. Il me reste encore quelques billets d’absence. Je soulève délicatement mon rescapé, l’examine avec minutie, puis cède à la tentation d’apprécier les souvenirs d’un safari en plein écran. Je rentre vider la carte dans un nouveau dossier, et lance un diaporama. Je revois alors avec beaucoup d’émotion cette si belle nuit. Les lampadaires. Les parcmètres. L’arrière de la Xantia, filant comme une étoile. Puis moi, sous l’abribus, dormant. Moi encore, de plus loin. Des rues, sous des angles valorisant de nombreux repères. Et une petite maison. Gardée par un chat. Et le jour, qui se lève en quelques clichés. Et puis moi à nouveau, sous l’abribus. Dans la cabine téléphonique. Dans les rues, jusqu’à mon immeuble. Ca s’arrête là. Heureusement.
J’aurais jamais cru que la vieille savait se servir d’un fusil. Et puis elle a encore mes clefs, la vieille. Et ses clichés crient qu’elle sait où je vis. Peu rassurant. Je sors les deux livres de mon sac pour laisser plus de place à quelques objets de valeur, dont mon Nikon, emporte aussi tout l’argent que je trouve éparpillé dans l’appartement, et repars pour le lycée. Là-bas, au moins, je suis en sécurité. Faudra que je parle de tout ça à Déborah. Je ne l’ai pas vue depuis longtemps, mais elle ne me laissera pas seul dans une telle situation. J’en suis sûr.
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