Shedar
| Sujet: Fragment #15 - Tout boude 11.04.08 12:23 | |
| Mercredi 14 février 2007 à Dijon Tout boude. Les nuages boudent. Derrière les nuages le Soleil boude. On a claqué la porte au vent. C’est soirée light. Du coup le vent boude aussi, et s’en retourne le dire à l’hiver, qui boude à son tour. Tout boude. Je laisse à l’extérieur une pensée pour Déborah et l’énergie qu’elle a laissé sur le versant nord de cette porte. Pensée qui boude, probablement. Tout boude. Le carrelage, glacial, boude. Les papiers peints boudent. Et l’interrupteur. Tout boude. Le tapis boude. La table basse imite le tapis avec tant d’application qu’elle boude presque mieux que lui. Le téléphone boude. L’horloge aussi. Tout boude. Sauf la petite dame, qui s’affaire déjà dans la cuisine. Et la cuisine grogne et marmonne que dormir est un droit inaliénable de la charte des intermittents du repas. Mon chocolat chaud fait son entrée. Tout boude encore. La cuisine aussi désormais. Et le plateau. Et mon bol. Tout boude. Je m’appelle Michelle. Je sépare mon bol de mes lèvres, l’accompagne en direction du plateau. Atterrissage réussi. Reconnexion. Rewind. Je m’appelle Michelle. La petite dame me regarde doucement dans le fond des yeux. Des deux yeux. Moi je n’y arrive pas. Je ne peux lui rendre sa bienveillance que maladroitement, alternativement. Œil gauche... Michelle... Œil droit. C’est plutôt joli pour une petite dame. Œil gauche. Ma voisine s’appelle Jeanine. Œil droit... Lorsque tu dormais, sous l’abribus, tu avais ces mimiques que je n’ai jamais su décrire. Les mimiques de ton frère. Peut-être que si tu n’avais pas été si profondément endormi ce matin-là je ne t’aurais pas reconnu... Je ne sais quels mots choisir pour composer une réponse. Œil gauche. A peine le temps de me demander quelle question, parmi des millions, je vais lui poser en premier, qu’elle a déjà repris son souffle et recommence à me bombarder de réponses... J’ai connu ta maman alors qu'elle ne savait encore ni parler ni marcher. Puis la vie doucement nous a déliées, et nos différents ont pris du poids, beaucoup, jusqu’à devenir nucléaires, et multipliant les conséquences, irréversiblement... Œil droit. Tu étais encore trop jeune pour comprendre. Ton frère était encore trop jeune pour encaisser... Œil gauche. Œil droit. Je devais te le dire. Aussi parce qu’il est très possible que ta maman ait choisi de ne jamais te le dire... Œil gauche. J’aurais tant aimé te voir grandir. J’attends avec impatience le jour où tu me parleras de toi... Œil droit. L’horloge se réveille et crie quelques coups, s’étire les aiguilles. Tout semble s’être réveillé avec elle. Tout semble s’être lassé de bouder. | |
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