Fragment #51 – Macabre anniversaire

Aujourd'hui, c'est un double anniversaire. Celui de mon frère adoré, qui fête ses vingt ans, et celui de mon père décédé, retrouvé pendu à son radiateur le 18 mai dernier. J'envoie un message sur le portable d'Alex, et des pensées au fantôme de Jean-Pierre. Je suis à moitié orpheline, déjà, -voire même entièrement si l'on fait abstraction des rares liens qui me rattachent à Sylvie- et je sens que cette douleur en moi se transforme en énergie. Il ne faut pas s'arrêter, jamais. Aussi, j'ai décidé de filmer, chaque jour de ma vie, des instants vrais avec ma petite caméra. Il faut être méthodique. Capturer au quotidien des morceaux de réel, les conserver, ils serviront plus tard. Devenir boulimique d'images. M'empiffrer jusqu'à plus faim. En ce lundi 18 mai 2009, je branche ma caméra, je m'installe devant, et je commence à parler. Sans avoir préparé aucun texte, sans chercher à plaire à l'objectif. Je parle de mon père, sans pleurer, j'évoque des souvenirs. Pour ne pas les oublier. Les images vidéo sont comme une mémoire de secours, à l'instar des photographies. Il faudra que je parle de cette idée à Damien et à Dim, ça devrait leur plaire : comme le stock de nos souvenirs construit notre être, est-ce que l'on ne s'agrandit pas en nourrissant une mémoire externe démesurément ? Je regrette de n'avoir pas de photos de mon père, de morceaux de films. Rien que des images mentales, friables, évanescentes. Jean-Pierre n'aimait pas les appareils, il n'a jamais voulu que je le filme. Sans doute pensait-il que l'œil attrape des instants plus vrais que ceux saisis par une caméra. Pauvre papa, si tu savais. C'est la machine qui voit les choses telles qu'elles sont.
Pas nous.